L'actus

du Pro Bono

L’engagement doit-il être obligatoire à l’école ?

L'engagement citoyen devrait-il être obligatoire à l'école ? Nous nous sommes posés la question le 26 octobre 2022 en compagnie de l'ESPER, le 4Lab/méthode TouKouLeur et Kedge Business School. Et la réponse penche plutôt vers le non... On vous explique pourquoi.
Pro Bono Lab
9 nov. 2022

Replay de l'événement en ligne sur Youtube ici


Alors que le gouvernement s’attache à appeler à une “société de l’engagement”, l’engagement lui-même ne devrait-il pas être enseigné, pratiqué, accueilli dès l’école ? C’est la question que nous nous sommes posée le 26 octobre dernier en compagnie de :
- Sylvie Emsellem, déléguée nationale de l'ESPER,
- Patrick Saoula, enseignant et co-fondateur de la méthode TouKouLeur et
- Dorian Simon-Meslet de la Direction Transition & Impact de Kedge Business School.

Chez Pro Bono Lab, nous avons l’intuition que cela permettrait de construire une société plus solidaire, plus empathique, plus à même d’agir collectivement pour résoudre les défis sociaux et environnementaux auxquels notre société fait face. Mais faut-il aller jusqu'à le rendre obligatoire ?

Voyons ce qu'en disent nos intervenant.es !

Les jeunes et l'engagement

Rappelons tout d’abord que l’engagement citoyen rassemble toutes les actions volontaires effectuées au service de l’intérêt général, de manière formelle (via des structures comme les associations, les partis politiques ou les syndicats) ou informelle (manifestations, signature de pétitions, aide de proximité...).

Les jeunes ne votent plus, ils sont individualistes et ne pensent qu’à leurs intérêts individuels”. Ah bon ?

Ce n’est pourtant pas ce que nous dit le Baromètre de la Jeunesse (DJEPVA - CREDOC, 2021) : « les jeunes de 18-30 ans apparaissent comme plus engagés que l’ensemble de la population : 55 % déclaraient être adhérents d’une association ou d’un groupe contre 46 % de l’ensemble de la population. Ils y consacrent également plus de temps : 50 % s’y livrent au moins plusieurs fois par mois contre 42 % de l’ensemble de la population »

Mais ils manquent parfois de temps, d’occasions ou peuvent avoir la sensation de ne pas avoir les qualités requises (Baromètre de la Jeunesse, DJEPVA - CREDOC, 2021).

De plus, l’étude La France Bénévole (Recherche & Solidarités, 2022) démontre une certaine fracture sociale : la proportion d’adhérent.es à des associations et de bénévoles varie plus que du simple au double entre celles et ceux qui ne possèdent aucun diplôme et les titulaires d’un diplôme d’enseignement supérieur.

Quel est le rôle de l’école ?

Le rôle de l’école est d’abord d’accompagner l’émancipation des individus au sein du collectif. Autrement dit, à l’école, chacun.e doit pouvoir s’affranchir des étiquettes et des déterminismes sociaux, territoriaux ou ethniques pour choisir sa propre trajectoire individuelle.

En 6ème par exemple, tu es catégorisé comme un 6ème, comme un collégien du collège Malraux de Marseille : tu es qualifié et représenté par ton appartenance à un collectif. L’école doit te permettre de te faire reconnaître comme l’individu Marc, celui qui est passionné de vidéos et a des compétences en montage.” explique Patrick Saoula.

Dans l’enseignement supérieur plus spécifiquement, une nouvelle ère s'ouvre. Initialement, les établissements formaient, par l’apprentissage de connaissances et savoir-faire, à des métiers concrets et identifiés. Plus récemment, les établissements ont ajouté les savoir-être dans leurs programmes car “les métiers de demain n’existent pas encore” : leur rôle était alors d’enseigner aux élèves l’adaptabilité et la résilience. Dorian Simon-Meslet nous explique que chez Kedge, depuis quelques années, un nouveau changement s’opère. Au-delà des savoirs, la question du pourquoi, de la finalité sociale entre en jeu. Enseigner des savoir-faire et des savoir-être, oui, mais avec en ligne de mire deux enjeux de société transverses : respecter les limites planétaires et garantir la cohésion sociale.

On transmet à nos élèves les savoir-faire et les savoir-être pour qu’ils puissent sortir de leurs intérêts particuliers et individuels, concevoir ce qu’est le bien commun” Dorian Simon-Meslet

Le rôle de l'école serait donc permettre le cheminement et l’épanouissement individuel tout en garantissant l’intérêt général, donc.

L'engagement, ça s’apprend ?

On n’apprend pas l’engagement, on le fait vivre” – Patrick Saoula

Prenons pour exemple le projet de l’ESPER, un collectif de 44 organisations qui oeuvre dans le champ de l’économie sociale et solidaire. L’ESPER sensibilise, forme et éduque à la fois à l’ESS et par l’ESS. Il propose, entre autres, aux élèves de collège de monter une entreprise de l’ESS : ces derniers font le choix du projet, ils se posent la question des statuts, de comment les rédiger, de qui décide et comment...

Cela leur permet d’éprouver concrètement, de vivre l’ESS” nous explique Sylvie Emsellem.

L’apprentissage par l’action, c’est aussi le prisme de la méthode TouKouLeur. Celle-ci s’appuie sur un lieu (le 4Lab) dans lequel tout est possible. Un jour par semaine, sur leur temps libre, les jeunes y font ce qu’ils veulent : ils partagent leurs passions, développent des projets, libèrent leur créativité.

Pour quels résultats ?
L'ESPER observe qu’après leurs programmes :
- 52% des élèves souhaitent faire un stage, entreprendre ou travailler dans l’ESS ;
- La moitié des élèves sont engagés dans une association ou dans un projet de l’établissement contre 1/3 auparavant ;
- 35% des élèves qui n’étaient pas bénévoles souhaitent désormais le devenir.

À l’ESPER comme avec la méthode TouKouLeur, le processus de co-construction et la relation de confiance instaurée entre adultes et jeunes permet donc l’adhésion et l'engagement de ces derniers.

"Faire vivre" une expérience collective, c'est aussi insuffler des valeurs qui ne s’apprennent pas de manière descendante : la coopération, la libre-adhésion, la démocratie... Avec pour résultat l’amélioration du climat scolaire et des relations entre élèves et avec les professeurs.

Et une posture sachant-apprenant qui évolue :

« La CPE du lycée m’a un jour appelé pour me faire part d'une situation inhabituelle : depuis plusieurs années, certain.es de ses élèves toquent à sa porte avec des idées et lui demandent comment les mettre en place au sein du lycée. Ces élèves étaient passé.es par TouKouLeur ! Ce qui est intéressant, c’est qu’ils ou elles ne demandent pas s’ils peuvent mettre en place ce qu’ils ont en tête, mais comment. Ils ont intégré que les adultes et l’école sont là pour les accompagner et leur permettre de concrétiser leurs projets, à eux”. Patrick Saoula

Faire vivre l’engagement, c’est aussi le prisme de l’école Kedge, qui a instauré un « Community Service » de 50h au sein de son programme Grande Ecole : les élèves doivent passer 50h de leur temps au sein d’une association, sur le terrain, au contact de ses bénéficiaires.

« On veut provoquer un début de cheminement, les confronter à des situations concrètes sur le terrain. On sort du prisme de rentabilité immédiate de l’école : on n’est pas dans un objectif d’utilisation des compétences marketing ou métier, on développe l’esprit critique des jeunes. » Dorian Simon-Meslet

L’engagement se vit donc et s’éprouve autant qu’il s’apprend.

Est-ce que l’école est le bon endroit pour s’engager ?

L’engagement citoyen, le bénévolat est avant tout un sujet personnel qui doit faire l’objet d’un engagement volontaire. Pourquoi l’inclure dans le parcours scolaire ?

Pour Dorian, amener les jeunes sur le "terrain" permet des situations d’ouverture, de rencontres et d’accompagner le cheminement personnel des étudiant.es.

« Certain.es élèves sont déjà engagé.es et convaincu.es du bénéfice de leurs actions, parce qu’ils ou elles ont été sensibilisé.es par leur entourage ou ont rencontré une occasion de passer à l’action. D’autres sont sceptiques, se demandent si c’est utile, s’ils perdent leur temps… C’est très bien que l'école puisse les amener à se poser ces questions à ce moment-là ». Dorian Simon-Meslet

Intégrer ce genre d’actions dans les parcours scolaires est aussi une manière de lever les freins à l’engagement - parmi les principaux freins à l’engagement recensés par le Baromètre de la Jeunesse (DJEPVA et CREDOC, 2021), on retrouve :
- Le manque de temps,
- Le manque d’occasion,
- Le sentiment de ne pas avoir les qualités requises.

« Le rôle de l’école est d’insuffler une prise de conscience et une prise de confiance collective : c’est possible d’aider, et ils en sont capables ! » nous explique Dorian.

À l’inverse, TouKouLeur a choisi de développer ses actions sur des temps hors-classe. « Cela nous permet d’impliquer des élèves de différents niveaux » explique Patrick, « de pousser les projets plus loin que ce qui serait possible sur le temps scolaire et surtout, on s’assure que celles et ceux qui ne sont pas motivé.es ne seront pas un poids pour les autres. »

Mais le lien avec le parcours scolaire est fort car la méthode TouKouLeur, c’est la reconnaissance et la valorisation de l’identité plurielle de chacun.e : « on n’est pas ‘que’ un élève, un prof de math... ». Toutes les compétences utilisées par les élèves pendant l’année sont ainsi transformées en compétences scolaires via un système de badges. « On leur montre que ce qui se passe sur le temps extra-scolaire peut aussi avoir un impact sur leur parcours scolaire » conclut Patrick.

Et l’obligation dans tout ça : l’engagement doit-il être obligatoire à l’école ?

« Le rendre obligatoire va lui enlever son essence même. On va rentrer dans la consommation du “on fait parce qu’il faut faire” » Sylvie Emsellem.

Obliger, non ! Mais inciter, susciter, co-construire… Ce sont pour Sylvie les maitre-mots à garder en tête. « Ce qui est très important, c’est que cela ne doit pas pénaliser celles et ceux qui ne s’engagent pas » nous explique Patrick.

Pour Dorian, la réponse est moins catégorique… « L’engagement permet de développer des compétences et une capacité à comprendre des contextes, des publics et interlocuteurs différents… De développer une humanité et une capacité à être plus citoyen, moins centré sur sa personne… C’est important et c’est aussi le rôle de l’école. ».

Ce que j’en retiens, pour conclure : obliger à s’engager, cela n’a pas de sens. Mais proposer un cadre pour faire vivre et donner vie à des valeurs, projets, envies, sujets de préoccupation des jeunes... peut être pertinent pour « éduquer » à et par l’engagement !


Pour aller plus loin sur le sujet, nous vous conseillons de lire :
- Revue internationale d’éducation de Sèvres n°88 : (s)'éduquer par l'engagement
- Baromètre DJEPVA sur la jeunesse 2021, INJEP et CREDOC
- Note de Véronique Bordes, 2017 : Quel engagement pour les jeunes aujourd’hui ?

Ou de visionner le replay de l'événement du 26 octobre !

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