L'actus
du Pro Bono

Les associations, facilitatrices d’engagement politique ?
Jeudi 13 février, nous avons parlé engagement & politique avec Alexandre Pastor, directeur général de Melting Pot, Guillaume Pisonero de la Ligue de l’enseignement Bouches-du-Rhône, Kevin Vacher et Fadela Ouidef du projet de recherche “Démocratiser la politique”.
Manon Philippe
27 févr. 2025

Le recul de l’engagement dans les voies conventionnelles (désaffiliation politique avec le déclin du vote, de l’adhésion à un parti politique ou syndicat) est une tendance récurrente et observable depuis déjà plusieurs années en particulier chez les jeunes et les classes populaires.
Si les jeunes sont sous représentées en politique – en 2017 un jeune sur cinq n’a pas voté aux deux tours des élections présidentielles – c’est aujourd’hui la tranche d’âge bénévole en associations la plus dynamique (25% chez les 15-34 ans). Le même constat peut s’effectuer chez les classes populaires : alors que 33% des ouvriers n’ont pas voté en 2022, les classes populaires continuent pourtant massivement à s’engager au sein d’associations ou dans des mouvements militants (par exemple les gilets jaunes). Les associations endossent dans ce contexte, un rôle d’espaces d’expression et d’actions citoyennes et peuvent faire entendre la voix des personnes les moins représentées politiquement.
Doit-on parler d’une crise de l’engagement politique ou s’agit-il d’un simple changement de terrain de jeu ? Comment les associations peuvent se saisir du sujet et favoriser cette forme d’engagement ?
Engagement et politique, état des lieux
I-Que dire de l’engagement politique des jeunes ?
Melting Pot est une association qui lutte contre l’abstention des jeunes en démocratisant l’éducation citoyenne. Lors de sa création en 2022, son fondateur Alexandre Pastor est parti de deux constats : il y a bien sûr la défiance que peuvent éprouver les jeunes vis-à-vis de la politique et des élus mais aussi une véritable méconnaissance de nos institutions politiques de leur part. Melting Pot informe, initie et accompagne dans ce cheminement les jeunes à travers des ateliers de mise en pratique. Objectif ? Leur permettre de devenir les citoyens éclairés et engagés qu’ils ont tous la capacité d’être.
De son côté, Guillaume Pisonero, coordinateur engagement à la ligue de l’enseignement Bouches du Rhône, observe un certain « décrochage républicain ». Avec une fracture grandissante entre valeurs de la République émanant de la vie politique à Paris, et ce qui peut être ressenti par les jeunes des quartiers prioritaires de Marseille.
« Ce que les jeunes rejettent avant tout ce n’est pas la politique en soi, mais plutôt l’activité politicienne. Avec le sentiment que la politique est réservée à une élite, un monde éloigné et inaccessible qui ne parle pas vraiment aux jeunes et aux citoyens en général ». Guillaume Pisonero, coordinateur engagement à la ligue de l'enseignement
Il faut donc avant tout s’attacher à définir la notion d’engagement politique auprès des jeunes. Et c’est en prenant l’axe de l’éducation aux médias que la Ligue de l’enseignement a travaillé sur le sujet et sur le sentiment de rejet et de déconnexion que peut susciter la politique. L’association a permis aux jeunes de travailler avec média vivant, une organisation qui restitue chaque mois des enquêtes journalistiques auprès d’un vaste public.
« En donnant la possibilité aux jeunes de monter sur scène, de mener de A à Z leur propre enquête, on cherche à leur fait comprendre que s’exprimer, interroger des citoyens, débattre, c’est déjà une action politique en soi, et qu’il ne faut pas forcément entrer dans une activité politicienne" poursuit Guillaume.
Les perspectives sont encourageantes, en témoignent les nombreuses instances de jeunesse mises en place. A Marseille, le conseil municipal de la jeunesse existe depuis 2022, et est composé de 32 jeunes élus résidant dans la commune de Marseille. Le parlement régional de la jeunesse permet par ailleurs à tous les jeunes de Provence Alpes Côte d’Azur de pouvoir prendre part à une Assemblée et compte 150 à 200 candidatures par an. Enfin le conseil métropolitain de la jeunesse créé en 2022 est une instance consultative qui favorise la participation active de la jeunesse à l’élaboration des politiques publiques de la métropole. La note d’espoir, c’est l’envie de la jeunesse de prendre part à ces instances, de s’emparer de ces dispositifs et de faire entendre leur voix.
II- Que dire de l’engagement politique des classes populaires ?
Démocratiser la politique est un projet de recherche-mobilisation qui souhaite instaurer dans le débat public le concept de parité sociale en politique. Il s’intéresse à l’engagement politique des classes populaires et au parcours d’obstacles auquel ces personnes sont confrontées. Avec ce projet de recherche, ce sont des habitants de différents territoires en France qui ont été interrogés, notamment l’Aisne, Roubaix, la région Ile-de-France et Marseille. Une base de données statistiques issues du ministère de l’intérieur et étudiant le profil sociologique des 2,7 millions des personnes qui ont candidaté dans les 20 dernières années à au moins une élection (municipale, régionale etc) a pu être analysée.
« Lorsque l’on regarde in fine qui est élu dans les plus hautes instances, ce que l’on constate c’est que la représentativité diminue. Or, la parité sociale, c'est cette idée que les assemblées électives doivent représenter la société telle qu'elle est et non pas une élite qui aurait la vertu, le capital économique, le capital culturel, les bons diplômes, les bons réseaux pour diriger le pays. » Kevin Vacher, sociologue à l’origine du projet démocratiser la politique.
Kevin a tout d’abord souhaité rappeler les multiples dimensions de l’engagement politique au-delà de la vie partisane et électorale. Les classes populaires sont très présentes dans les mouvements sociaux les plus récents tels que les gilets jaunes et les luttes pour la représentation politique dans les quartiers populaires sont historiquement ancrés. Malgré cela, le constat est sans appel, le système politique est un véritable parcours d’obstacles : à l’Assemblée nationale on ne retrouve que 4% des classes ouvrières et des employés.
La recherche en sciences sociales est d’ailleurs venue montrer une dégradation de la présence des classes populaires dans la vie politique depuis les années 2000. Cette détérioration est palpable tous les échelons, y compris dans les mairies de petites communes rurales qui permettaient autrefois aux classes moyennes et populaires d’accéder à un certain niveau politique. La technicisation, la métropolisation et la concentration du pouvoir politique a rebattu les cartes et a évincé les plus précaires, et les plus pauvres de l'échiquier politique. Ce que le collectif est venu observer c’est que le problème n’était pas tant l’engagement des classes populaires mais les nombreuses barrières à leur engagement.
Un témoignage que Fadela, militante de longue date et membre du collectif Démocratiser la politique, corrobore : « En s’engageant dans la vie associative et dans le militantisme, on s’aperçoit que les bienfaits [de l’engagement associatif et militant] sont nombreux mais que cela ne suffit pas, qu’il faut aussi être représenté en politique car c’est le lieu où sont prises les décisions. Mais les freins pour y parvenir sont inimaginables et on a le sentiment de se confronter à une véritable caste politique qui entend bien ne pas partager le pouvoir ».
Lever les freins à l’engagement politique
Alexandre Pastor, fondateur de l’association Melting Pot identifie deux principaux freins pouvant menant au désintéressement ou au désengagement politique. Le premier obstacle, c’est souvent soi-même, c’est-à-dire les barrières que l’on se donne, en pensant que la politique ce n’est pas fait pour soi.
Le manque de temps ne joue également pas en la faveur des jeunes. Ces derniers poursuivent un cursus scolaire, de formation ou travaillent, et la possibilité de s’engager ou encore de consulter en profondeur les programmes de différents candidats aux élections n’est pas évident. Pour répondre à cette contrainte, l’association Melting Pot fait en sorte d’intervenir dans des espaces où les jeunes passent du temps et sont déjà mobilisés, cela peut être dans les collèges, les lycées ou encore les centres sociaux.
Le tout est accentué par le fait que la politique évoque avant tout la corruption des élus, un climat anxiogène et pessimiste. Le détail qui peut faire la différence ? Aborder et sensibiliser à la politique à travers leur culture, leurs passions et leurs codes. A travers ses différents ateliers, Melting Pot organise des simulations parlementaires, organise des débats, utilise des notions de pop-culture pour comprendre la structure de nos institutions. L’information passe également par les réseaux sociaux de l’association qui utilise la création de contenu pour vulgariser et rendre accessible des concepts, l’actualité du moment.
Guillaume Pisonero de la ligue de l’enseignement Bouches-du-Rhône, souligne de son côté, qu’aujourd’hui les citoyens sont bloqués dans des « bulles numériques » qui mettent à mal la pluralité des points de vue. Cela vient également complexifier l’apprentissage du débat, un outil extrêmement important et en perte de vitesse aujourd’hui.
« Il y a une fuite du sujet politique dans le cadre scolaire, qui est abordé mais de manière systémique. Et un débat qui se polarise de plus en plus, avec une perte de nuance qui fait qu’aujourd’hui les jeunes ont l’impression que s’ils veulent y participer ils doivent forcément avoir un avis tranché, être forts sur leurs arguments.» Guillaume Pisonero, de la ligue de l’enseignement Bouches-du-Rhône.
A cela s’ajoute, un certain jeunisme qui vient freiner la dynamique d’engagement et d’intérêt, les jeunes sont très souvent ramenés à leur âge, à leur manque d’expérience, ou encore au fait qu’ils n’aient pas encore travaillé. Résultat, ils ne se sentent absolument pas légitimes à parler politique.
Jeunisme, manque de légitimité, inégalités des chances : ces mécanismes de domination sont finalement assez communs à ceux que l’on retrouve à l’œuvre auprès des classes populaires.
« Il y a une fausse promesse, celle de l’égalité des chances vantée dans le cadre républicain, qui n’est pas tenue dans les domaines éducatifs, de l’accès aux études supérieures. Pour la politique c’est ce même paradoxe, cette même promesse démocratique qui n’est pas honorée, celle de dire que tout le monde peut être représenté en politique. » Kevin sociologue à l’origine du projet Démocratiser la politique.
De plus, Fadela souligne le fait que l’engagement dans la vie politique peut être vécu comme une trahison vis-à-vis de ses voisins, des associations militantes auprès desquelles elle a pu s’engager en raison de la défiance que ceux-ci éprouvent vis-à-vis des politiques.
Les parcours d’engagement sont ainsi entravés par de nombreux obstacles.
« On a beaucoup parlé des systèmes de domination et de répression mis en place, de l’injonction à être loyal, mais il y a également des freins plus insidieux y compris dans le decorum. Le decorum c’est une façon d’exercer le pouvoir, c’est toutes les dorures que l’on retrouve dans les bâtiments de pouvoir. C’est ce dispositif esthétique du pouvoir qui vous impressionne et vous donne le sentiment de ne pas être à votre place » ajoute Kevin.
Et la place du milieu associatif dans tout ça ?
Avec le Tour de France Républicain, La Ligue de l’enseignement a souhaité répondre au premier enjeu évoqué, celui de la reconnexion des jeunes à la politique. Le programme permet aux jeunes de visiter à Paris certaines des institutions françaises, ou encore à Strasbourg et Bruxelles pour les instances européennes. L’objectif est bien de désacraliser ces lieux, de les rendre accessible aux jeunes d’effacer la distance entre les jeunes et les institutions : ils peuvent eux aussi comprendre leur fonctionnement, les matérialiser et s’en saisir, cela devient de l’ordre du commun.
Les associations sont également des espaces clés pour développer l’esprit critique. Cela peut passer par des ateliers d’éducation aux médias, ou encore laisser la possibilité aux jeunes d’organiser des tables rondes, de débattre sur des sujets variés.
Elles peuvent d’autre part, créer un cadre favorisant le passage à l’action des jeunes, renforcer leur confiance en eux et leur légitimité. Avec le dispositif de junior association, la ligue de l’enseignement permet ainsi, à des mineurs de 11 à 18 ans de créer une association en total autonomie. C’est l’occasion pour les jeunes de travailler en équipe, de découvrir de nouvelles missions, le fonctionnement d’un conseil d’administration, d’être partie prenante de la création d’un projet dès ses débuts, et de monter en compétences. Le programme de la coopérative jeunesse de services, donne quant à lui l’opportunité à des jeunes de 16 à 18 ans de créer une micro-entreprise éphémère de services pendant tout un été, leur procure une ouverture sur le monde de l’entrepreneuriat. Autant d’ingrédients nécessaires pour prendre en assurance et se sentir plus légitimes avant d’entrer dans la vie active. Enfin, les juniors associations et les coopératives jeunesse de service fonctionnent avec un système de gouvernance démocratique. Cela vient développer une appétence chez les jeunes et leur donner une première compréhension et utilisation des outils démocratiques dans un contexte différent.
« On veut montrer aux jeunes qu’on peut aussi changer les récits autrement, par le monde du travail en proposant des nouveaux projets, de nouvelles associations, en bousculant les choses ou même dans notre environnement proche » affirme Guillaume Pisonero, coordinateur engagement, à la ligue de l’enseignement.
« Tout est politique »
Car oui, il n’y a pas qu’en votant aux élections ou en adhérant à un parti que l’on s’engage politiquement.
Les actions terrains proposées par les associations ont le mérite d’apporter du concret aux jeunes qui ne voient pas toujours l’intérêt immédiat d’un engagement politique traditionnel. L’association Melting Pot propose aux jeunes des mises en pratique via le concept de démocratie scolaire. Cela peut commencer par un débat portant sur un sujet précis, pour aboutir à des propositions concrètes auprès du conseil d’administration de l’établissement. Les jeunes élèves ont ainsi la possibilité d’avoir un impact au sein même de leur établissement, d’améliorer leurs conditions d’études. En cela, les associations jouent un rôle fondamental : celui d’enseigner, de redonner goût et d’expérimenter la culture démocratique.
Alyssa Hakimi, jeune bénévole engagée dans l’association Melting Pot l’a bien compris. Déléguée de classe au collège, puis du conseil d’administration au lycée, élue au parlement régional de la jeunesse, pour Alyssa, l’engagement c’est une longue histoire :
« Je ne percevais pas forcément la dimension politique de ces engagements. D’ailleurs, je ne m’y intéressais pas du tout. Je ne pensais pas que défendre mes idées ou prendre la parole sur un quelconque sujet était déjà politique ».
Cette prise de conscience enclenchée, Alyssa a multiplié engagements, interactions et débats avec différents profils de personnes, et le développement de nombreuses compétences. Une façon de combattre les multiples freins évoqués précédemment.
« Ce que j’aimerais dire à des jeunes qui souhaiteraient s’engager ? Oser ! Ce n’est pas parce que vous avez un certain profil ou statut, que vous ne correspondez pas aux attentes de la société que vous ne pouvez pas vous engager. Chaque voix compte. »