L'actus
du Pro Bono
Le bénévolat, un travail comme un autre ?
Le bénévolat, un travail comme un autre ? C’est une problématique à laquelle nous avons tenté d’apporter des réponses… mais qui a aussi soulevé de nombreux autres questionnements !
Manon Philippe
14 mars 2023
Nous avons eu la chance de débattre sur cette thématique avec Lionel Prouteau, Maître de conférences émérite à l’Université de Nantes, Hubert Penicaud , Administrateur au Mouvement Associatif, et Coline Cosserat, Responsable Nationale du bénévolat et des engagements chez Les Petits Frères des Pauvres.
Bénévolat et travail, faut-il rapprocher ces deux notions ?
Le travail est une notion qui a été investie historiquement de significations variables et évolutives. Tantôt considéré comme source d’aliénation ou comme moteur d’émancipation, le travail fait cohabiter deux dimensions contradictoires : l’accomplissement de soi et la notion d’exploitation. S’il n’est pas possible d’en donner une unique définition précise, la notion de travail au sens large recouvre toutes les activités sociales constituant une production « utile » pour la société, de l’emploi rémunéré au travail domestique : les formes de travail dites « invisibles » en font partie intégrante.
Le bénévolat, c’est donc un travail ?
« Le bénévolat est un travail mais ce n’est pas “qu’un travail”. On le définit en premier lieu comme un engagement libre, car il ne répond pas à un motif alimentaire contrairement à l’emploi rémunéré. Le travail est cependant une réalité incontournable du bénévolat, il y a bien une activité productive qui découle de cet engagement. Beaucoup de parallèles peuvent être effectués entre le travail bénévole et le travail domestique » initie Lionel Prouteau.
Pour Hubert Penicaud, Administrateur du Mouvement Associatif, cette problématique vient interroger une logique d’application : « La tentation et le risque d’envisager le bénévolat uniquement sous le prisme de la ressource est réel. Pourtant la contribution des bénévoles va au-delà de cette simple vision ». Un point de vue que partage Coline Cosserat (Petit Frères des Pauvres), pour qui l’engagement bénévole est central afin de faire vivre le projet associatif, et dont l’action s’inscrit souvent dans une dimension relationnelle forte. Le doute n’est pas permis : les bénévoles créent de la valeur qui va bien au-delà de celle comptabilisée dans nos indicateurs de richesse monétaire.
Le bénévolat au cœur des logiques de l’emploi ?
Si les liens qui unissent bénévolat et travail ne sont plus à démontrer, le fait que bénévolat vienne peu à peu prendre sa place au cœur des logiques de l’emploi est désormais décrié : dans un univers où coexistent bénévoles invités à se professionnaliser et salariés incités à accepter une certaine dose de bénévolat au nom de « l’engagement » le monde associatif n’est pas imperméable à certaines pratiques issues du secteur lucratif. Celui-ci se préoccupe désormais de gestion des ressources humaines bénévoles ; il existe même des grèves de bénévoles.
Le bénévolat se substitue-t-il parfois à l’emploi, est-il un travail déguisé ? Pour Lionel Prouteau, il n’y a aucun consensus clair allant dans ce sens, bien que ce soit une pratique observable dans le cas de certaines nouvelles formes d’engagement comme le service civique .
« Cette tentation existe mais l’impact se situe surtout au niveau des conditions des salariés du fait de l’etos bénévole : c’est une pression subtile, où l’on fait comprendre aux salariés que si les bénévoles donnent de leur personne et de leur engagement personnel, les salariés le doivent aussi. Est-ce que l’etos benevole qui peut marquer fortement certaines associations, ne conduit pas à une détérioration des conditions d’emplois et de salaires ? C’est une vraie question, mais ça n’est pas forcément la règle » nuance Lionel Prouteau.
La diversification des modes d’engagement et des motivations exprimées par les citoyens a également marqué le monde associatif ces dernières années. La très nette séparation entre salariés régis par le code et le monde du travail d’un côté, et les bénévoles mettant à disposition leur temps pour une association de l’autre est devenue plus poreuse. Aujourd’hui le monde de l’engagement est diversifié : services civiques, volontariat, emplois aidés, mécénat de compétences, bénévoles ou encore salariés.
« Cette diversification est pour moi une bonne chose car elle a incité beaucoup de jeunes et de différents profils à l’engagement. Mais cela amène une exigence forte pour les associations qui doivent gérer ces communautés avec des motivations et des attentes différentes, et trouver les bonnes modalités d’animation » remarque Hubert Penicaud.
« Cependant, il ne faut pas que les associations soient tentées de reprendre les logiques de ressources humaines que l’on retrouve dans le monde de l’emploi avec la mise en place de processus de recrutement pour les bénévoles, de fiches missions très détaillés qui réduisent le bénévolat à une ressource » poursuit-il. Le risque est que le parcours d’accès au bénévolat s’avère trop complexe et décourageant, entre questionnaire de motivation, entretien, processus d’intégration, ou encore sessions de formation.
Si les rapports entre bénévoles et salariés peuvent poser certains problèmes de répartition du pouvoir et d’équilibre, ces derniers restent bien souvent complémentaires. Un certain nombre de tâches bénévoles peuvent être effectuées par des salariés ou inversement. Toutefois le rapport avec les bénéficiaires est différent : "Certaines activités bénévoles perdraient beaucoup de leur impact si elles étaient déléguées à des salariés. Si les bénéficiaires considèrent que les individus sont présents car ils sont rémunérés, la nature de la relation change alors complètement. » remarque Coline Cosserat. De plus, la question de l’efficacité ne devrait pas avoir sa place dans le travail bénévole contrairement au travail salarié : cela ne rentre pas dans le “contrat” initial. Enfin, la relation de subordination que l’on retrouve dans le monde du travail, est en théorie absente de l’engagement bénévole.
Zones grises et professionnalisation du monde associatif
Engagement, bénévolat, travail pourquoi les frontières semblent aujourd’hui moins définies ?
La professionnalisation du monde associatif est venue rendre plus perméable la frontière entre bénévolat, engagement, travail et emploi. Lionel Prouteau nous rappelle que la grande diversité des statuts de l’association est une réalité qui date du début du XXe siècle, nous ne rencontrons pas une problématique nouvelle ! Les années 80 ont constitué une période ascendante en matière de statut salarial dans le monde associatif. Cette professionnalisation n’est pas pour autant venue gommer le bénévolat qui trouve toujours sa place dans la logique associative. Cependant, nous faisons face, depuis une trentaine d’années à un effritement du salariat. « Dans ce contexte, ces porosités deviennent plus marquantes et provoquent parfois des situations mal vécues par les salariés ou les bénévoles ».
Cette professionnalisation a aussi rebattu les cartes : avec l’apparition de mots nouveaux tels que le bénévolat de compétences, ou encore le bénévolat de gouvernance, certaines associations reposent sur la mobilisation de compétences très précises.
Enfin, cela a pu mener les différentes parties prenantes et les pouvoirs publics à progressivement envisager le bénévolat comme un outil de politique de l’emploi : en faisant cela, le risque est grand de faire perdre au bénévolat sa dimension de libre arbitre.
Quelle valorisation pour le bénévolat ?
Expérimentations autour du RSA sous conditions, débats autour de la valorisation du travail bénévole dans le cadre des droits à la retraite : ces différentes initiatives et l’actualité du moment tendent à mettre le sujet sur la table et à venir bousculer notre conception du bénévolat.
Le bénévolat, un engagement libre devrait-il faire l’objet d’une compensation monétaire ?
« Ce serait pour moi une réponse terrifiante, cela n’exprime pas ce qu’est la contribution du bénévolat à la société. On exprimerait que le bénévolat c’est uniquement de la ressource et cela impliquerait de monétariser le temps qui est donné. Le bénévolat ce n’est pas que du temps donné : c’est du lien, une création de richesse inestimable en termes de compétences et de faire ensemble. » affirme Hubert Penicaud.
Cela vient d’ailleurs interroger le fait d’obliger des individus à faire du bénévolat pour obtenir une contrepartie ou une autre. « Conditionner des droits à de l’engagement bénévole c’est du travail forcé, s’il y a obligation, il y a une logique de subordination et de rémunération » poursuit-il.
Cette valorisation monétaire, bien qu’encouragée sur le plan comptable des associations, n’est pas opportune d’après Lionel Prouteau : « Considérer que l’on puisse valoriser monétairement le bénévolat c’est le rapprocher du statut salarié. Cela brouille totalement les frontières. Il faut rompre avec l’hégémonie monétaire, avec cette tendance à vouloir associer cette métrique en toutes circonstances »
Coline Cosserat souligne en revanche l’importance du sujet : « Il est essentiel de valoriser autrement le bénévolat, en insistant sur son impact on vient nourrir le sentiment d’utilité. Le bénévolat peut aussi être une richesse sur le plan des compétences, notamment chez les plus jeunes. »
A partir d’une réflexion sur les frontières entre bénévolat, travail et emploi, nous en sommes venus à nous réinterroger sur notre conception du travail, les motivations qui poussent les individus à être bénévoles et les bienfaits de cet engagement. Les pistes de réflexion et champs d’actions restent nombreux : reconnaissance et valorisation du travail bénévole, réflexions à mener sur la relation bénévoles/salariés, respect du statut salarié, démocratisation et simplification du parcours bénévole... Les associations doivent prendre ces sujets à bras le corps à l’heure où l’engagement bénévole connaît de nouvelles remises en question. Le discours politique a sans doute une forte responsabilité et un rôle à jouer. Si le projet de réforme des retraites inquiète le monde associatif en raison des effets rebonds qu’il pourrait avoir sur l’engagement bénévole des seniors, il traduit aussi une absence de prise en compte de cette économie non lucrative pourtant indispensable au fonctionnement de notre société : la question de la valorisation reste donc entière, et sans doute au cœur de notre sujet.
Consulter notre dossier bénévolat, mécénat de compétences et travail :
Des ressources pour aller plus loin
Les zones grises entre bénévolat & salariat (2003), La Fonda
Le travail gratuit des chômeurs-bénévoles. Une logique de contribution à ré-évaluer
L’exploitation des bénévoles ? Des questions de l’enquête au questionnement des catégories