L'actus
du Pro Bono
Le bénévolat accessible à tous et à toutes, comment aller vers plus d’inclusion ?
En ce début d’année, nous avons souhaité nous pencher sur la question du bénévolat inclusif en collaboration avec Benenova.
Manon Philippe
13 févr. 2024
Le bénévolat inclusif, kézako ?
Le bénévolat inclusif, c’est le fait de permettre à tous de s’engager dans des associations y compris à des personnes en situation de handicap, de précarité ou encore d’exil. Aujourd’hui, peu d’associations parviennent à sortir du rapport aidant-aidé traditionnel et à proposer du bénévolat aux personnes accueillies et accompagnées au sein de leur structure. L’engagement accessible à tous et à toutes, une utopie ? Comment œuvrer pour un bénévolat inclusif et pourquoi est-ce important ?
Nous en avons discuté le 1e février dernier avec Manuel Garcia, chargé de projets inclusifs chez Benenova, Karine Richarme fondatrice de l’association Kipawa, et Hubert Penicaud, responsable participation et démocratie interne à la Croix Rouge.
Pourquoi s’intéresser au bénévolat inclusif ?
L’association Kipawa fondée par Karine Richarme propose un programme d’apprentissage du français intensif, contextualisé et inclusif destiné aux personnes exilées. Le bénévolat y occupe une place très importante, c’est même un pilier indispensable à l’apprentissage de la langue française. Les bénéficiaires, sont des personnes exilées en situation d’isolement social, avec assez peu de relations avec la société civile. « Initialement le bénévolat était un outil au service de l’apprentissage de langue, une façon de créer des espaces de discussions. Avec le temps on s’est rendu compte que cela allait beaucoup plus loin, que le bénévolat permettait une vraie création de liens, de réseau mais surtout que cela venait changer la posture des participants. De bénéficiaires, ils deviennent des personnes qui peuvent contribuer à la société » constate Karine, fondatrice de l’association.
Les retours des participants du programme Kipawa sont assez unanimes : le bénévolat régulier leur donne confiance en eux, ils se sentent valorisés, remerciés. Mais surtout, il est apparu comme un élément différenciant pouvant potentiellement accélérer l’employabilité en donnant des clés de compréhension sur le fonctionnement d’organisations françaises, ou encore en rajoutant de précieuses lignes sur le CV. De plus, le bénévolat permet de développer des compétences et de les mettre en pratique que cela soit en lien ou non avec un projet professionnel. « Une fois que l’on a pris conscience de tous ces bénéfices, le bénévolat est devenu une action à part entière du programme au même titre que les cours de français, il n’est plus un simple complément mais une partie intégrante du programme ».
« S’intéresser au bénévolat inclusif c’est sortir de l’idée que le bénévolat c’est l’affaire des personnes les mieux loties, qui vont aider les personnes les plus démunies mais au contraire que tout le monde peut contribuer et ne pas être figé dans une posture aidée ou aidant. J’aime beaucoup parler de solidarité circulaire. » Karine, fondatrice de Kipawa
Même son de cloche pour Benenova qui a lancé depuis 2020 deux programmes dédiés au bénévolat inclusif. L’association met en relation des citoyens qui cherchent à se rendre utile avec des associations à la recherche de bénévoles. « Il existe des inégalités dans la société française à tous les niveaux et l’engagement citoyen ne fait pas exception » remarque Manuel, chargé de projets inclusifs chez Benenova. Partant de ce constat, l’association a commencé à mobiliser des bénévoles avec des structures sociales ou médicosociales, des structures qui accompagnent des personnes en situation d’exclusion ou de vulnérabilité. « Ces structures sont venues vers nous avec la volonté de faire du bénévolat mais sans savoir comment s’y prendre. Cela est venu nourrir nos réflexions, de là se sont construits nos programmes d’accompagnement à destination de personnes éloignés de l’engagement. Ce sont le plus souvent des personnes en situation d’exclusion avec des parcours d’exil ou des personnes en situation de handicap mental, physique ou psychique. »
L’objectif ? Offrir des parcours individualisés pour que ces personnes s’engagent de façon adaptée et mettent en œuvre leur pouvoir d’agir, leur capacité à donner de leur temps pour une cause collective. Le bénévolat inclusif répond ainsi à un triple enjeu : pour les associations il s’agit de mobiliser des bénévoles, de diversifier les profils et d’avoir un regard neuf sur les activités qu’elles portent, cela sensibilise également le grand public et contribue à leur changement de regard, enfin, pour ces bénévoles cela vient renverser le rapport aidant aidé.
A la Croix Rouge, le bénévolat inclusif est également un sujet d’actualité. Depuis 2010, il est désormais possible pour les bénéficiaires de l’association de devenir bénévoles et de mettre à contribution leur temps. Le bénévolat inclusif vient avant tout interroger l’identité des associations, et leur capacité de permettre à de personnes de s’associer dans un but commun. Hubert Penicaud remarque que ces dernières années l’identité de la Croix Rouge a beaucoup évolué au gré des différents crises qui ont été traversées. D’une approche et action très centrées sur la protection, l’association s’est tournée vers une logique de résilience. La Croix Rouge pose le constat que l’on est tous vulnérables. Au nom de cette idée de vulnérabilité, l’idée est de renforcer la façon dont on s’associe, de construire des communautés d’entraide.
« C’est un changement culturel important. Le bénévolat inclusif est un sujet qui interroge les pratiques mais surtout les idées et le projet associatif, ce que l’on veut faire ensemble. ».
Comment s'adresser aux personnes les plus éloignées de l'engagement ? Quelques retours et bonnes pratiques
En amont de la mission
Le besoin « d’aller vers ». Manuel souligne en premier lieu la nécessité de s’entourer, d’avoir des intermédiaires, des personnes issus du terrain, notamment des accompagnateurs sociaux, ou encore des éducateurs. Véritables relais, ce sont eux qui permettent d’amener les sujets, d’amorcer des parcours d’engagement chez des personnes qui n’y auraient pas pensé ou pour qui le bénévolat paraîtrait inaccessible. Enfin, ils s’assurent que tout se déroule bien le jour J.
Sensibiliser les associations. Manuel relève une tendance à la « présomption d’incompétence » pour les personnes en situation de handicap mental. Les associations doivent apprendre à déconstruire les préjugés qu’elles peuvent avoir en laissant la parole aux personnes concernées, en s’intéressant et en comprenant leurs envies de bénévolat.
Susciter l’envie. Le bénévolat ne peut pas être une contrainte, sinon il n’aura pas les effets escomptés. La clé d’entrée et la motivation première des participants du programme Kipawa, c’est l’apprentissage de la langue française. « Notre gros enjeu début du programme c’est de nous assurer que la partie bénévolat a bien été comprise par les candidats, qu’ils en tiennent compte au même titre que les cours de français et surtout qu’ils en retirent un intérêt personnel » alerte Karine.
Identifier des missions qui correspondent aux envies et aux appétences personnelles ou professionnelles des bénévoles, des missions où ils se sentiront à l’aise. Dans le cadre du programme Kipawa, il faut ainsi, veiller à ce que les participants soient amenés à interagir pour faciliter leur apprentissage de la langue, et que la mission reste en adéquation avec leur niveau de français. Les missions sont adaptées et peuvent relever de domaines variés, de la cuisine, au bricolage, ou encore à la présence sur des chantiers participatifs.
Pendant la mission
Assurer la qualité de l’accueil et de l’accompagnement humain. Accueillir, c’est cadrer la mission au préalable, prendre le temps d’expliquer aux bénévoles pourquoi ils sont là, être présent sur la mission. Pour les personnes en situation de handicap et d’exclusion, avoir une personne référente qui pourra être joignable sur la mission et participer avec eux, miser sur des intermédiaires est un bon moyen d’assurer une expérience positive d’après Manuel Garcia, chargé de projets inclusifs chez Benenova. Karine, fondatrice de Kipawa souligne également l’importance de l’accompagnement et de l’intermédiation. Pour leurs premières missions bénévoles, les participants du programme sont systématiquement accompagnés par un représentant de Kipawa, qui s’occupe de la mise en relation.
« Ce n’est pas évident d’aller vers les associations pour toute personne, les peurs de ne pas être à la hauteur, de ne pas savoir aider ne sont jamais bien loin. C’est encore plus difficile lorsqu’on ne connait pas bien le tissu associatif, et que l’on ne parle pas bien le français… »
Être à l’écoute et compréhensif sur les contraintes que peuvent rencontrer les personnes éloignées du monde de l’engagement. Il y a des vrais difficultés et freins, ces derniers ne sont pas insurmontables, mais vont nécessiter de s’adapter. Les relais terrain et intermédiaires sont aussi là pour aider des associations qui manquent parfois de temps et sont en tension. Ces intermédiaires peuvent assurer un suivi tout au long de la mission en conservant un lien avec l’association.
Valoriser l’engagement. Être bénévole c’est donner de son temps mais c’est aussi recevoir, remercier est fondamental, sans doute encore plus pour des personnes qui ne se sont jamais engagés par le passé mais qui souhaitent désormais le faire de manière régulière et dans la durée remarque Karine, fondatrice de Kipawa. Travailler la valorisation des missions c’est s’assurer que les participants/bénévoles et les associations en retirent du positif, c’est leur donner la possibilité de faire évoluer la mission pour une montée en compétences.
« A la Croix Rouge nous partons du constat nous avons tous des savoir, la question est comment mobiliser et valoriser les compétences des personnes ? En ayant cette démarche on reconnait les personnes et on crée les conditions de la réciprocité. » Hubert Penicaud, chargé de démocratie et de participation interne à la Croix Rouge.
L'engagement accessible à tous, quels points de vigilance et quels freins à lever ?
« Lorsque nous recherchons des missions de bénévolat pour les participants de Kipawa, il y a parfois malentendu, certaines associations persistent à les voir comme des bénéficiaires plutôt que comme des contributeurs. Mais ce n’est pas du tout une fatalité » nuance Karine. En sensibilisant les associations, en les outillant et en leur partageant nos témoignages, il est possible de les amener à se recentrer sur les personnes et non plus sur leur « étiquette administrative ».
Il existe bien sûr des freins plus conjoncturels, liés aux situations des personnes, de leur mobilité, de leur disponibilité, ou encore de leurs contraintes administratives. Pour les personnes en situation de handicap, les questions de l’autonomie et de la motricité sont centrales. « Ces freins ne sont pas insurmontables et notre travail consiste justement à les lever, et à aider les associations à mettre en place les adaptations adéquates. » assure Manuel « Il faut les outiller et les familiariser avec le handicap. Les ajustements à mettre en place sont bien souvent assez simples » Manuel prend l’exemple d’une mission de distribution de repas pour des personnes sans-abris réalisée pour l’association l’Un Est l’Autre. L’activité était exigeante physiquement et se déroulait sur des horaires en décalage avec les rituels des bénévoles en situation de handicap. L’association a décidé de choisir un jour où l’activité était moins intense et sur des horaires plus adaptés pour mobiliser ces bénévoles. Une adaptation qui s’est soldée par un succès.
Enfin, Hubert Penicaud nous rappelle que le premier risque est bien celui de stigmatiser, de réduire les gens à leur situation de vulnérabilité.
« Il faut rappeler que le bénévolat n’est pas très ouvert. Le premier frein, c’est nous même. ”
Si par définition le bénévolat, se veut accessible à l’ensemble de la société française, les associations ne sont pas inclusives par nature : des inégalités perdurent et influent les trajectoires d’engagement des individus (origine sociale, handicap, inégalités économiques d’accès à l’engagement…). Environ 23% des Français sont bénévoles dans une association en 2023, cependant cette proportion varie du plus simple au double selon le degré de diplôme !
Plus que de bénévolat inclusif, une conclusion qui nous invite à penser « le bénévolat pour tous ».
Pour aller plus loin
Inclusion et faire ensemble, conseils et bonnes pratiques pour favoriser l’inclusion des personnes en situation de grande précarité au sein des quartiers, Collectif Inclusion et Faire Ensemble