L'actus
du Pro Bono
L’appel à projets en compétences, une (fausse) bonne idée ?
Là où l’appel à projets classique se caractérise par l’octroi d’une subvention, celui en compétences se définit par un accompagnement pro bono grâce à des volontaires, souvent des collaborateur.rices d’entreprises. Comment faire pour mieux articuler les AAP financiers et en compétences ?
Manon Philippe
8 avr. 2021
Devenu l’un des outils incontournables du financement des associations, l’appel à projets (AAP) recouvre des pratiques et des modalités très diverses (fréquence, calendrier, thématique soutenue, présence ou non d’une équipe dédiée, montant de la dotation financière, etc.). Un autre élément crucial à prendre en compte est le temps que l'exercice requiert de part et d’autre de l’équation, mécène / mécéné.e. Si la levée de fonds reste l’une des priorités majeures des associations, particulièrement en cette période de crise, l’accompagnement en compétences peut être parfois proposé à différents moments de la relation partenariale.
Pourquoi une telle thématique ?
Pour plusieurs raisons !
. Permettre une meilleure interconnaissance entre mécènes et associations dans l’exercice de l’AAP ;
. Sensibiliser au fait que le soutien financier aux associations reste primordial : leur bonne santé financière est l’un des facteurs clé de réussite pour que le pro bono puisse générer l’impact social le plus pérenne possible ;
. S’interroger sur la meilleure place à alors accorder au pro bono = au soutien en compétences.
In fine, contribuer à l’amélioration de pratiques !
Etape 1 : retours d’expériences sur les appels à projets
Quelles sont les raisons qui poussent les mécènes à recourir à cet outil de sélection ? Les entreprises et fondations le font pour soutenir d’abord financièrement des projets « solidaires » en lien avec leurs axes stratégiques d’engagement. Parmi les points forts identifiés, l’AAP leur permet de :
. Découvrir de nouveaux projets innovants d’un territoire grâce à des critères précis,
. Y impliquer des parties prenantes internes (gouvernance, comex, RSE, communication, équipe projet dédiée, collaborateur.rices…) et externes (partenaires du territoire…),
. Accroitre leur notoriété auprès des porteur.euses de projet,
. Communiquer en interne et externe sur l’engagement de leur structure.
Des entreprises mettent également en place des AAP internes où ce sont les salarié.es qui peuvent soumettre des projets afin que leur entreprise les soutiennent. Lorsqu’un AAP interne existe, il présente l’avantage de fédérer et fidéliser une communauté de collaborateur.rices engagé.es qui participent à l’identification de projets.
Deux points d’amélioration repérés côté mécène : rendre l’AAP plus accessible pour les associations candidates, en simplifiant notamment les critères de sélection et le temps de traitement des dossiers.
Sylvain Maschino, chef de projet RSE à la Fédération nationale des caisses d’épargne, est revenu sur l’articulation faite en interne entre stratégie RSE, mécénat et soutien à l’innovation sociale, grâce aux travaux de l’Avise ou du partenariat avec le Rameau. Dans les Caisses d'Epargne, l’AAP se fait à l’échelle des territoires et de ses fragilités. Le modèle de gouvernance coopérative nécessite l’implication d’administrateur.rices à l’échelle territoriale, de la construction de l’AAP, la délibération ou de son évaluation. Tout cela prend du temps. A noter qu’un accompagnement en compétences n’est proposé qu’aux associations déjà lauréates d’un AAP car les deux parties se connaissent, et ont tissé une relation de confiance permettant de connaitre leurs besoins.
Parce qu’on entend beaucoup les entreprises sur ce sujet, il me paraissait également important de donner la parole aux associations (et c'est quelque chose qui nous tient à coeur généralement, chez Pro Bono Lab). J’étais donc ravie que Lucie de Clerck d’Entourage, Joyce Peel de Dulala et Delphine Petit de Wake up Café répondent présentes. Bien que ces associations œuvrent sur des champs différents, leurs retours d’expériences présentent de nombreux points communs.
Ce qui m’a particulièrement marquée :
. Le nombre d’AAP auxquels elles répondent par an : entre 22 à 82 dossiers envoyés (l’une d’elles ayant doublé ses candidatures en raison de l’impact de la crise). De l’aveu même d’une participante, « il est vrai qu'en tant qu'entreprise, on ne se rend pas compte du nombre d'appels à projets auxquels vous répondez... ».
. Le « taux de réussite » qui oscillait en 2020 entre 55% à 69%, l’une d’elle étant passée de 88% en 2019 à 55% en 2020 ;
. Sans surprise, répondre à un AAP prend vraiment du temps, au minimum une demi-journée de travail à plusieurs jours, voir un mois pour un « gros » AAP*. Toutes ces différentes étapes (identifier l’AAP, lire son cahier des charges, formaliser les éléments de langage, identifier le « bon » projet à présenter, répondre au formulaire, établir un budget, rechercher des co-financements...) ne sont pas compressibles ;
. Elles bénéficient et sont à la recherche de partenariats à 360°, au temps long, dans ceux noués avec les entreprises.
Pour elles, les avantages d’un AAP sont principalement d’offrir un cadre structurant pour formaliser de façon claire et synthétique un projet de A à Z et de découvrir de nouveaux partenaires privés et associatifs. A l’inverse, la redondance de certaines questions, le manque de clarté sur le calendrier, le manque de visibilité sur les résultats pour les associations lauréates et non lauréates, l’inadéquation entre le montant de la dotation financière et les exigences de reporting devraient être améliorés. Selon le champ d’action de l’association, faire rentrer l’innovation dans des cases est une mission quasi impossible !
Privilégier les soutiens pluriannuels, plus structurants, et exercer leur rôle de prescripteurs auprès d’autres mécènes font partie des pistes d’amélioration qu’elles ont partagées.
En matière de bonnes pratiques en direction d’autres associations, elles recommandent de :
. Nouer un contact avec la structure mécène avant tout AAP afin de mieux connaitre ses enjeux, pouvoir lui présenter la mission de l’association et répondre à ses questions. Cela aurait d’ailleurs une incidence positive sur le taux de réussite pour sa candidature ! ;
. Echanger avec les associations déjà lauréates de l’AAP auquel on ambitionne de candidater ;
. Relire à plusieurs la candidature mais d’éviter de l’écrire à plusieurs ;
. Rationnaliser l’effort et temps passés avec le taux de succès et le montant de l’AAP. Un exemple : découper un « gros » appel à projets en plusieurs parties qui pourraient être reprises dans des AAP plus modestes.
A l’inverse, elles déconseillent de développer de nouveaux projets dans le seul but de rentrer dans les cases d’un AAP ou de vouloir faire rentrer un projet dans les cases d’un AAP.
Et l’appel à projets en compétences dans tout ça ?
Il existe déjà et est porté par des intermédiaires comme Share It sur des compétences spécifiques (les compétences numériques), Pro Bono Lab sur des compétences plus généralistes, via notre questionnaire en flux, ou encore la Fondation EY et son AAP interne. Sa déléguée générale, Fabienne Marqueste a expliqué ce choix « atypique », de ne soutenir les projets qu’à travers les compétences des collaborateur.rices de l’entreprise. Cet engagement permet aux salarié.es volontaires de découvrir une autre réalité que la leur tant en leur faisant prendre conscience qu’iels ont des compétences à partager, de renforcer la connaissance de l’objet de la Fondation (ie l’insertion par la formation et par l’emploi) et d’enrichir ses modalités de prescription de projets associatifs. Accompagner par les compétences permet de travailler avec les associations, et non pas pour.
Etape 2 : co-construction
Après tous ces riches échanges qui ont permis aux un.es et aux autres de mieux se rendre compte de la réalité de l’autre, place à la co-construction ! Deux questions sont venues la guider :
. Comment mieux articuler l’AAP financier et l’AAP en compétences ?
. Comment réconcilier les besoins en compétences des associations, souvent à long-terme, avec la volonté d’engagement des collaborateur.rices des entreprises, souvent à la carte et à court-terme ?
A la première, je retiens particulièrement les idées suivantes :
. Proposer l’accompagnement en compétences à la suite d’un accompagnement financier en demandant comme peuvent le faire les Caisses d'Epargne au moment de l'évaluation si des besoins en compétences existent ;
. Demander lors de l’AAP financier si des soutiens en compétences sont souhaités et si oui sur quels aspects du projet ;
. Co-construire l’AAP en compétences avec d’autres acteurs afin de proposer un mécénat de compétences longue durée permettant un diagnostic des besoins et un accompagnement en compétences en évolution avec le projet ;
. Co-construire des AAP multi-soutiens rassemblant plusieurs mécènes en fonction de la plus-value et savoir-faire de chaque mécène (par exemple : 1 mécène financier, 1 mécène accompagnement en compétences);
A la seconde, les solutions qui ont retenu mon attention :
. Construire un parcours d’engagement progressif (de la présentation du projet associatif, au coaching, à la journée Marathon, à du plus long-terme) pour ne pas « effrayer » les volontaires novices. Leur permettre de s’engager une première fois sur un format court/très ciblé permet de lever leurs freins et rend une implication et un engagement à plus long-terme possibles.
. Lancer des expérimentations afin que des collaborateur.rices puissent s’engager bénévolement dans la mise en œuvre des recommandations/livrables issus de missions pro bono, pour pallier à la limite d’engagement qui existe en interne (x jours/an).
Si pour cette première édition, il manquait à la table l’acteur public, friand lui aussi des AAP, on le garde dans un coin de notre tête afin d’organiser un événement en sa présence. To be continued !
Un grand merci à Delphine, Fabienne, Lucie, Joyce, Sylvain et Eléonore pour leur rôle de grands témoins ainsi qu’aux participantes Alexandra, Candice, Diane, Marie, Sarah et Françoise.
Pour en savoir + sur cet événement et/ou le Club du Pro Bono, n’hésitez pas à m’écrire : dounia@probonolab.org
* À noter que dans ces trois associations, des postes dédiés à cet exercice existent (directeur.rice ou responsable du développement, pôle mécénat…). N’oublions pas les associations pour lesquelles ce n’est pas le cas.