L'actus
du Pro Bono
Le bénévolat, un travail comme un autre ? Entretien avec Aurélie GOIN
On vous partage nos échanges avec Aurélie Goin, Déléguée générale de l'Entraide Scolaire Amicale
Manon Philippe
3 avr. 2023
Peux-tu nous présenter l’Entraide Scolaire Amicale ?
L’Entraide Scolaire Amicale accompagne les jeunes en difficulté scolaire grâce au mentorat. Nous les mettons en relation avec des mentors bénévoles qui les accompagnent au domicile de la famille. Cet accompagnement à la scolarité est global : il comprend l’aide scolaire, le conseil sur la méthode de travail, mais aussi l’aide dans les choix d’orientation, l’ouverture sur l’extérieur.... L’objectif ? Redonner confiance en eux aux jeunes, éveiller leur curiosité mais aussi sensibiliser et impliquer les parents dans la vie scolaire de leurs enfants. Nous ciblons les jeunes issus de milieux défavorisés, du CP à la Terminale. C’est une association qui a aujourd’hui 50 ans et mentore plus de 4000 jeunes dans toute la France grâce à l’engagement des bénévoles. L’Entraide Scolaire Amicale compte une centaine d’antennes locales.
Le bénévolat est-il un travail ? Qu’est-ce que t’évoque ce sujet ?
Selon moi, les motivations initiales sont différentes. Il y a un fort engagement de la part des bénévoles, une implication pour la cause qu’ils défendent. On peut retrouver cet engagement chez les professionnels salariés et rémunérés du monde associatif. Des similitudes existent mais le contrat, les modalités définies et les règles à respecter n’obéissent pas aux mêmes logiques et aux mêmes exigences. Le bénévolat a une valeur indéniable: la société ne pourrait pas fonctionner sans les bénévoles.
Quelles zones grises entre bénévolat & travail ? En quoi le bénévolat vient prendre sa place au cœur des logiques de l’emploi ?
Je pense qu’il ne faut pas opposer travail et bénévolat ou bénévoles et salariés, leur rôle est complémentaire. A l’Entraide Scolaire Amicale, notre équipe de salariés est plutôt récente, son objectif est précis et consiste à démultiplier l’engagement bénévole. Nos bénévoles sont eux en relation directe avec les enfants que l’on accompagne. Un certain nombre d’enfants sont déjà accompagnés par des professionnels, ils vont à l’école, ont des enseignants : les bénévoles/mentors viennent en complément et n’ont pas vocation à se substituer à ces différents intervenants. Au contraire, ils doivent savoir passer le relais aux professionnels si besoin. Des zones grises existent, c’est certain, l’enjeu est que chacun puisse trouver sa place. Aujourd’hui par exemple, les modalités d’engagements sont plus diversifiées : l’Entraide Scolaire Amicale ne fait pas exception à cette tendance. Nous travaillons avec des salariés, des bénévoles mais aussi des personnes en mécénat de compétences. Cela amène une exigence forte et un enjeu autour de l’animation de ces communautés qui ont des rôles, des motivations et des attentes différentes.
L’association a récemment connu une transition avec le recours à des salariés alors qu’elle était historiquement composée uniquement de bénévoles, peux-tu m’en dire plus ?
Nous avons aujourd’hui un modèle hybride avec une petite équipe salariée qui outille et soutient nos responsables d’antenne bénévoles, qui mettent en place le mentorat sur le terrain, sans oublier bien sûr les mentors qui accompagnent les jeunes. Cette organisation est nouvelle pour nous puisque nous fonctionnions uniquement avec des volontaires bénévoles. La structure s’est ensuite peu à peu agrandie, nos actions ont pris de l’ampleur et le besoin de se structurer, de se professionnaliser et de pouvoir animer cette communauté bénévole s’est fait sentir. Nous souhaitions également pouvoir mieux répondre aux demandes des familles et augmenter le nombre de jeunes accompagnés. Enfin, pour la pérennité de notre action et de l’association, il était important que certaines responsabilités ne reposent pas uniquement sur le bureau de l’association. Nous avons donc dans un premier temps structuré la tête de réseau, puis procédé au recrutement de chargés de mission territoriaux pour apporter un soutien de proximité à nos responsables d’antenne. Ces salariés prennent aujourd’hui en charge la dimension partenariale, de lien avec les acteurs institutionnels et le tissu local. Ils viennent travailler de façon plus systémique avec les acteurs, et outiller l’Entraide Scolaire Amicale au niveau national.
Comment cette transition s’est-elle passée ? Quelles relations ou difficultés avez-vous pu rencontrer avec ce nouveau rapport salariés / bénévoles ?
Cette organisation reposant uniquement sur les bénévoles a longtemps fait partie de l’ADN de l’Entraide Scolaire Amicale (50 ans), forcément cela a posé des questions. Ceci dit, nous avons conservé et souhaitons conserver un engagement bénévole fort, qui fait aujourd'hui la force de l'E.S.A : nos antennes sont toujours animées par plus de 250 responsables d’antenne bénévoles. Les salariés viennent en soutien de ces équipes bénévoles à l’échelle d’un département.
Nous avons recruté des chargés de mission territoriaux là où les responsables d’antenne souhaitaient avoir un soutien localement et renforcer le travail en partenariat avec les autres acteurs. L’adhésion des différentes parties prenantes est indispensable, c’est même la condition à un tel changement et à sa réussite.
Chacun doit trouver au fur et à mesure sa place, ses fonctions avec cette nouvelle organisation : cela se passe bien mais il faut du temps ! Cela dépend aussi de l’historique et du développement du territoire. Ce qui est sûr c’est que cela suppose de faire évoluer l’organisation.
Ceci dit, ce sont des questions qui se posent également avec les personnes que nous accueillons en mécénat de compétences : les passerelles sont beaucoup plus étroites, et les frontières salariat/bénévolat plus poreuses en termes de fonction occupée et d’organisation du temps de travail.
- Le mot de la fin : Doit-on selon toi valoriser monétairement le bénévolat ?
Je ne pense pas qu’il faille valoriser monétairement le bénévolat. Le valoriser oui, mais pas de cette façon. On risque de tomber dans l’écueil de l’emploi déguisé et de précariser encore plus le secteur. C’est contre-productif de pousser absolument, voire obliger, les gens à s’engager bénévolement, par exemple parce que « cela fait bien sur le CV ». Comment valoriser le bénévolat ? C’est une vraie question ouverte. Je pense qu’elle se pose encore plus qu’avant à l’Entraide Scolaire Amicale, maintenant que nous avons une organisation hybride avec salariés et bénévoles. Il faut réussir à procurer de la reconnaissance à nos bénévoles. Sans monétiser le bénévolat, il est nécessaire de valoriser les compétences acquises, comme l’empathie, l’écoute, la pédagogie, l’ouverture à l’autre...
Consulter notre dossier bénévolat, mécénat de compétences et travail :
Echanges du Club du Pro Bono : Le bénévolat, un travail comme un autre ?
Des ressources pour aller plus loin
Les zones grises entre bénévolat & salariat (2003), La Fonda
Le travail gratuit des chômeurs-bénévoles. Une logique de contribution à ré-évaluer