L'actus

du Pro Bono

Quels sont les effets du mécénat de compétences sur le monde associatif ?

Nous avons reçu Constance Cheynel, chercheuse associée à l'INJEP, Mathilde Renault Tinacci, chargée de recherche à l’INJEP, et Samia Cordelle, directrice conseil chez Kimso. Pour des échanges passionnants sur les effets du mécénat de compétences sur le monde associatif !
Pro Bono Lab
7 juin 2023

En septembre dernier, Pro Bono Lab avait invité Constance Cheynel (INJEP) à nous partager les premiers apprentissages de la recherche action INJEP sur la mise en œuvre du mécénat de compétences dans les associations et ses effets, qu’elle mène aux côtés de Mathilde Renault Tinacci. Cette fois-ci, Mathilde et Constance se sont prêtées à l’exercice en confrontant leurs résultats avec l’étude très complémentaire réalisée par Kimso et impulsée par l’Alliance pour le mécénat de compétences en collaboration avec Pro Bono Lab.

Pour inaugurer cet évènement, Isabelle Million, Déléguée générale à l’Alliance pour le mécénat de compétences revient sur les raisons qui les ont conduits à s’interroger sur les effets du mécénat de compétences dans le monde associatif. S’il existe quelques travaux de recherche étudiant le mécénat de compétences, ceux-ci portent avant tout la vision des entreprises et des salarié.es volontaires. C’est donc l’une des premières fois que le dispositif est observé du point de vue associatif. Aucune étude n’était venue vérifier que le mécénat de compétences réponde à son objectif premier : celui d’apporter des compétences à l’intérêt général et de répondre aux besoins des associations. Un vide qu’il était important de combler.

Cadres de recherche & Méthodologies

De quoi parle-t-on quand on parle de mécénat de compétences ?

Samia Cordelle nous rappelle qu’il s’agit de la mise à disposition des compétences des salarié.es sur leur temps de travail au service d’associations d’intérêt général. L’étude réalisée par Kimso est venue mettre en exergue plusieurs typologies de mécénat de compétences parmi lesquelles : le format « solo longue durée », le format « solo courte durée », le format « action » (action terrain), « l’accélération en collectif » , le format « presta » (un salarié réalise une prestation spécifique pour un volet de l’association) et le mentorat.

La démarche évaluative de l’étude réalisée par Kimso est centrée sur les associations afin de comprendre et mesurer l’impact du mécénat de compétences sur leur projet. Ainsi, une première phase qualitative a été menée en février et mars 2022, elle comporte dix entretiens individuels conduits auprès des associations et deux focus groups de salariés engagés. Un questionnaire en ligne (phase quantitative) a ensuite été diffusé auprès de 161 associations répondantes.

De son côté, l’INJEP a souhaité répondre à plusieurs grandes interrogations en menant cette recherche action : qui sont les associations ayant recours au mécénat de compétences ? Quels sont leurs besoins, le mécénat de compétences y répond-t-il ? Quels sont les effets de ce dispositif sur les associations ? Le travail a débuté en janvier 2022 par une première phase d’entretiens avec des représentants institutionnels du monde associatif. Une enquête qualitative par entretiens et observations a ensuite été réalisée auprès de 17 structures associatives dans 8 régions de France pendant plusieurs mois. Enfin, un questionnaire destiné à l’ensemble des associations françaises a été diffusé et a permis de récolter 135 réponses d’associations qui mobilisent le mécénat de compétences et 677 réponses d’associations qui n’y recourent pas.

Profil des associations et usages du mécénat de compétences

Qui sont les associations ayant recours au mécénat de compétences ? Que retenir sur les liens qui les unissent à ce dispositif ?

« Les éléments issus de la recherche viennent poser la question de l’accessibilité et du coût d’entrée pour les associations au mécénat de compétences. Toutes les associations ne recourent pas au mécénat de compétences avec les mêmes facilités » souligne Mathilde, chargée de recherche à l’Injep. Les structures d’intérêt général qui ont le plus souvent recours à ce dispositif sont :

-Des associations issus des secteurs de l’éducation, de la formation et de l’insertion et de la Santé, de l’action sociale et de l’humanitaire

-Des entreprises associatives gestionnaires, c’est-à-dire employeuses

-Des associations basées en métropole. Le dispositif est largement moins courant en ruralité, bien que la dimension territoriale soit pourtant citée comme une des principales motivations des entreprises à pratiquer le mécénat de compétences

-Des associations qui ont, à des degrés différents des modèles organisationnels inspirés du monde de l’entreprise. On parle « d’isomorphisme organisationnel ».

-Des associations avec des gouvernances dites « classiques », sans modèle de gouvernance à innovations démocratiques.

Ces éléments convergent avec les données de l’étude réalisée par Kimso : « Les associations répondantes sont majoritairement de grande taille, bien structurées avec des têtes de réseau et un mode gestion de projet déjà bien identifié. Elles interviennent dans le champ de l’action sociale, l’humanitaire ou le caritatif » relève Samia. Le mécénat de compétences est une expérience initiée dans le cadre de partenariats préexistants pour le plus grand nombre : 41% des associations entretiennent déjà une relation avec l’entreprise ou son salarié avant la mise en place du mécénat de compétences. Ce qu’il faut bien noter c’est que les associations se distinguent par leur niveau de maturité. L’étude a fait émerger plusieurs profils d’associations utilisatrices, avec des usages et des recours différenciés du mécénat de compétences.

Impacts et satisfaction des associations : retours d’expérience

1-Des effets satisfaisants en termes d’accès aux ressources et de professionnalisation

Le mécénat de compétences est une pratique courante pour les associations interrogées par Kimso puisque 81% d’entre elles l’ont expérimenté à plusieurs reprises. Il vient surtout répondre à un besoin de ressources additionnelles.

« Un tiers des associations déclarent que le mécénat de compétences est décisif et pas juste utile. C’est déjà une grande victoire. » Samia Cordelle, Directrice conseil, Kimso

Les effets prioritaires vont de l’accès à des ressources additionnelles (relevé par 93% des associations répondantes), au gain de temps (89%), à l’appui d’un regard critique et extérieur (89%), ou encore à la montée en compétences (86%).

Les effets sur la notoriété, la visibilité, et les effets de levier pour le développement de la structure sont des impacts bien réels, mais à venir consolider pour que les associations tirent au mieux parti du dispositif.

« On observe une relative satisfaction des associations sur le terrain, notamment en termes de professionnalisation gestionnaire. » complète Constance.

Peu importe le degré de contribution gestionnaire des salarié.es volontaires, leur arrivée participe à la spécialisation des tâches et à la recherche de la performance. Les associations sont souvent satisfaites de cette ressource humaine supplémentaire. Constance prend l’exemple de l’association « Pour l’engagement de tous » qui a témoigné d’une véritable « montée en puissance » et du lancement d’un projet, grâce à la gestion administrative et du collectif bénévole de la salariée volontaire de l’association.

2-Des effets qui pourraient être maximisés par des relations entreprises-associations plus équilibrées

Cette satisfaction doit toutefois être nuancée. La recherche action de l’INJEP met en évidence une dynamique de relation relativement asymétrique où les associations sont en grand besoin de compétences et les entreprises viennent pourvoir cette demande et cadrer l’offre. De nombreuses exigences pèsent ainsi sur les associations : si elles bénéficient de compétences, elles doivent également être attentives à répondre aux exigences des entreprises. De plus, le bon déroulement des missions repose sur l’engagement moral des salariés et leur accompagnement par les associations. Or, « les associations interrogées n’ont pas toujours la possibilité de choisir le/les salariés qui les rejoignent en mécénat de compétences » souligne Constance.

Les associations qui le peuvent viennent rééquilibrer cette relation en rationalisant le recours au mécénat de compétences, en organisant par exemple des entretiens d’embauche, de manière à servir leurs intérêts plus directement. Constance nous rappelle que la rencontre entre le monde associatif et le monde de l’entreprise peut s’avérer complexe. Il ne faut pas négliger le choc des cultures entre l’entreprise et le monde associatif. Pour cela vérifier la motivation des salariés volontaires, leur bonne compréhension de la mission de l’association est essentiel et peut éviter certaines déconvenues.

Enfin, les associations et les entreprises ne doivent pas sous-estimer les apprentissages nécessaires aux salarié.es volontaires en termes d’outils et de cause défendue.

« Le temps et le coût nécessaire aux associations pour former et accompagner les salariés volontaires ne sont pas appréhendés et laissés à la charge des associations. Pourtant le transfert des compétences des salariés volontaires n’a rien d’automatique. » souligne Constance.

Les points de vigilance identifiés par la recherche

La professionnalisation gestionnaire mise à l’œuvre engendre plusieurs risques : une dangereuse hiérarchie des compétences peut se mettre à l’œuvre, avec l’idée que certaines activités ne demandent pas de compétences particulières (tris de denrées, travaux manuels, etc.). Les compétences organisationnelles et les conditions de travail en équipes lors des journées de la solidarité jouent pourtant un rôle crucial dans le succès de ces missions. La professionnalisation gestionnaire peut également participer de la déstabilisation de certains groupes professionnels, déjà en cours, comme cela est le cas avec les métiers du travail social ou encore de l’animation socio-culturelle et socio-éducative – historiquement pris en charge par des travailleurs sociaux de niveau 5 de qualification (DEUG, BTS, DUT, DEUST). Les qualifications à Bac+5 des salariés volontaires et leurs compétences en gestion de projet sont appréciées dans le cadre de l’animation des bénéficiaires ou des bénévoles malgré leur non-connaissance préalable des publics. Ils sont pourtant recrutés, dans certaines associations, pour conserver des activités d’animation menacées de disparaître.

Le dispositif vient également soulever plusieurs questions sur le plan des ressources humaines : comment assurer la pérennité de ces missions ? comment faire pour remplacer les salariés volontaires après leur départ ? Le statut de salarié volontaire (ni bénévole, ni salarié) vient-il concurrencer l’emploi ?

Du point de vue des modèles socio-économiques des associations, l’impact du mécénat de compétences peut s’avérer limité. S’il participe d’une diversification des ressources – en négociant avec les entreprises rencontrées des partenariats financiers –, les modèles socio-économiques des associations ne sont cependant pas stabilisés ni approfondis par ce seul biais. La recherche souligne également les apports conséquents en termes de capital social et relationnel via les salariés volontaires en mécénat de compétences (ouverture à leurs réseaux professionnels, personnels mais aussi institutionnels et politiques), avec pour limite que ces ressources et ces compétences en « réseautage » et « gestion financière » dépendent des individus qui les possèdent et sont rarement pérennisées de ce fait.

« Enfin, le mécénat de compétence, par le choc des cultures et les exigences qu’il engendre peut venir mettre en tension certains projets et certaines causes portées par les associations. » souligne Constance.

Les facteurs clés de succès

Mais alors, comment maximiser l’impact du mécénat de compétences sur les associations ? Pour Samia Cordelle, plusieurs éléments peuvent venir assurer les bienfaits du dispositif.

Pour plus de la moitié des associations, l’indisponibilité du collaborateur en mécénat de compétences représente le principal risque d’échec. Une incompréhension mutuelle du mode de fonctionnement de chacun, ou des décalages de compréhension ou de valeurs freine parfois le mécénat de compétences : le salarié peut avoir envie de faire pleins de choses mais se retrouver confronté aux ressources parfois limitées de la structure bénéficiaire. L’implication et la disponibilité du salarié volontaire est donc un premier facteur clé de succès.

Un cadrage précis sur les attentes et les besoins de l’association doit être réalisé, c’est une condition importante.

« Il faut systématiser le diagnostic des besoins au préalable et mettre en place une logique de parcours pour accompagner les associations de façon ciblée, mais aussi savoir renoncer et accepter que parfois le mécénat de compétences n’est pas une réponse aux enjeux de l’association.»

Par leur capacité à diagnostiquer leurs besoins, les associations plus matures sont donc les plus susceptibles de réaliser un mécénat de compétences à fort impact.

En outre, les associations identifient l’organisation et le temps comme des freins potentiels à l’accueil d’un salarié en mécénat de compétences, l’aspect chronophage du dispositif (phase amont de cadrage, accueil, encadrement) peut être décourageant. Ces structures peuvent faire appel à des acteurs intermédiaires pour les accompagner dans leur démarche et maximiser leur impact.

Certaines associations rappellent leurs premières réticences liées à une méconnaissance du dispositif : elles ont parfois eu du mal à projeter ce qui pourrait être confié à un mécénat de compétences. « Il y a un tout un travail de sensibilisation et de démocratisation à poursuivre ».

Zoom sur …

Le retour de Christophe Vernier, secrétaire général, de la Fondation du Crédit Coopératif

Christophe Vernier, secrétaire général à la Fondation du Crédit Coopératif est venu clôturer la table ronde et réagir aux propos énoncés précédemment.

Christophe est revenu sur les points de vigilance évoqués précédemment, non pour pointer ce qui ne fonctionne pas mais plutôt pour en tirer de bonnes pratiques et maximiser l’impact du dispositif du mécénat de compétences : « Ce qui est clair c’est qu’il y a un angle mort peu adressé jusqu’à maintenant, c’est le point de vue associatif et les effets du dispositif sur leur organisation courante. Il y a tout un travail à faire d’écoute, et de sensibilisation pour rééquilibrer la relation entre associations et entreprise et pour permettre au salarié volontaire de s’épanouir ». Comment aider les associations à mieux anticiper et accueillir un mécénat de compétences, comment réunir toutes les conditions de réussite ? C’est une question ouverte à laquelle devront répondre les parties prenantes mais aussi les spécialistes de l’accompagnement.

Des ressources pour aller plus loin

Le mécénat de compétences et son impact sur les associations. Zoom sur l'étude menée par l'INJEP

Evaluation d'impact social du mécénat de compétences par l'Alliance pour le mécénat de compétences : synthèse

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Merci à la Fondation Crédit Coopératif, à la Fondation Somfy et à Chanel qui soutiennent Pro Bono Lab dans sa dynamique de mesure d’impact du mécénat de compétences sur les associations.

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