L'actus
du Pro Bono
Agents publics et pro bono : le dispositif de congés solidaires d'un département breton
La série d'entretiens "Agents publics et pro bono*", réalisée entre décembre 2019 et mars 2020, explore les pistes de mise en oeuvre de programmes pro bono ou de mécénat de compétences au sein du service public. Aurélien nous présente le dispositif de congés solidaires d'un département breton.
Manon Philippe
3 févr. 2021
Aurélien** est chargé de coopération et du suivi du dispositif des Congés Solidaires® au sein d’un Département en Bretagne. Sa mission principale : la solidarité. Il s’occupe aussi des coopérations en lien avec la solidarité internationale, notamment au Mali et à Madagascar.
1. Où en est votre collectivité par rapport au pro bono ?
Nous avons un programme de Congés Solidaires®. Cela fait 12 ans que nous collaborons avec Planète Urgence. Mais il n’y a pas de transversalité, de vue d’ensemble sur la collectivité. Sur les plus de 4 000 agents, il y en a donc sans doute d’autres qui se mettent à disposition des autres : ils le font parfois de manière bénévole, sans que cela soit déclaré. La séparation entre travail et temps libre peut être floue : l'engagement va au-delà.
2. Quelles sont les motivations pour faire du pro bono et de qui cette volonté découlait-elle ?
Le dispositif des Congés Solidaires® s’inscrit dans le cadre des objectifs de l’Agenda 2021. Il recoupe deux missions : le bien-être des agents au travail (suivi par la DRH), et la coopération internationale. La solidarité au niveau local est bien connue des agents, puisque c’est le cœur de la collectivité. Nous voulions relier la solidarité internationale au bien-être au travail via la prise de conscience des Objectifs de Développement Durable : c’est éclairant de voir comment les modes de vie ici ont un impact dans les pays en voie de développement. Ce dispositif, initialement porté par les Ressources Humaines, l'est à présent par le département des Coopérations.
3. Y a-t-il eu des freins, et si oui, lesquels ?
Nos agents du département sont confrontés à la pauvreté locale. Le coût des missions de ceux qui partent à l’autre bout du monde pour 2 semaines de solidarité internationale peut paraître exagéré, face aux besoins de familles qui ont du mal à offrir une activité à leur enfant. C'est parfois mal comprise.
Cela soulève des interrogations sur l’intérêt d’aller aussi loin pour si peu de temps, et sur l’impact sur place. C’est un sujet qui revient très régulièrement : les agents sont très motivés avant de partir, et peuvent revenir avec de la frustration et de l’incompréhension, car ce n’est pas ce à quoi ils s’attendaient, la demande a pu évoluer.
Cela fait 7 ans que je suis le projet, j’ai donc pris du recul par rapport aux ressentis des agents. Depuis 5 ans, nous essayons de construire des liens avec les associations avec lesquelles nous coopérons. Nous ne pouvons pas le faire au Mali, car nous ne pouvons plus nous y rendre, mais nous le faisons à Madagascar. Nous avons des partenariats avec des associations sur place, qui ont formulé leurs besoins via Planète Urgence, et un suivi complémentaire est réalisé par les équipes sur place. Ils voient ce qui avance ou pas : c’est très lié aux stratégies locales, auxquelles il faut donc faire attention.
La présence des volontaires vient renforcer le dispositif mis en place avec la coopération décentralisée. Quand ils arrivent dans un village, ils ont une vision globale, ils voient les limites de leur action face à l’enjeu qui les a motivé à s'engager. Leur regard critique permet de voir comment s’améliorer, comment ne pas se focaliser uniquement sur un partenaire, mais sur tout un écosystème, pour répondre à d’autres besoins localement. Quand le seul partenaire est une ONG, nous n’avons pas connaissance des autres problématiques de la localité. L’objectif dans les 2 ans à venir est de nouer des relations avec les représentants institutionnels (maires / chefs de quartiers).
4. Quel est le coût de la mise en place de ces missions ?
Cela représente 3 700€ pour le département, ce qui couvre l’ensemble des dépenses, sauf le passeport, le visa, le déplacement à Paris pour la formation, les médicaments, qui représentent 300 à 400€ aux frais de l’agent. Cela peut freiner un agent de catégorie B ou C.
Nos agents du département sont confrontés à la pauvreté locale. Le coût des missions de ceux qui partent à l’autre bout du monde pour 2 semaines de solidarité internationale peut paraître exagéré, face aux besoins de familles qui ont du mal à offrir une activité à leur enfant.
5. Quel cadre est utilisé (législatif notamment) : bénévolat ou mécénat ?
Cela se fait sur le temps des vacances, dans le cadre de RTT ou d’un congé annuel. Le compte épargne temps peut servir à se rendre disponible : c'est donc du bénévolat de compétences.
6. Comment mobilisez-vous les volontaires ? Qui sont-ils ?
L’objectif est de partager, de développer un esprit de solidarité internationale. Nous mobilisons des volontaires via une communication large : intranet, newsletter interne, journal interne. Il y a une vingtaine de candidats par an, et seulement 10 qui partent. Au total, 110 agents ont eu l’opportunité de participer au programme depuis la création du dispositif. Il s’agit souvent d’agents de catégorie A, qui ont l’habitude de voyager, ont les ressources financières nécessaires, et ont généralement plus confiance en eux pour apporter des compétences.
Les agents de catégorie C peuvent aussi partir, et c’est d’ailleurs valorisé. Il y a des missions au niveau de la cuisine, de la couture, de l’accueil touristique. Par exemple, une comptable est partie pour aider les femmes qui vendaient des paniers. Il fallait les aider à faire une colonne “frais” (coût du panier) et “recettes” pour leur montrer si le prix de vente du panier était rentable. Maintenant, elles connaissent le coût du panier, comment le diminuer, et quel prix opérer en fonction du type de client. Il y a des impacts très concrets. Une autre mission a permis la mise en place d’une base de données sur une filière laitière. Trois agents qui connaissaient les bases de données ont dispensé une formation sur 5 ans, chacun pendant 2 semaines, pour aider à mettre en place cette base de données.
Les agents reviennent à chaque fois épanouis mais aussi bouleversés par la confrontation à la pauvreté. Il leur est souvent difficile de partager ce qu’ils ont vécu.
7. Quelles compétences sont mobilisées ?
Il n’y a pas de prérequis au niveau des compétences professionnelles, mais plutôt au niveau des qualités humaines et du savoir être, de la capacité d’adaptation et d’écoute. Nous insistons beaucoup avant le départ sur l’objet de la mission, les attentes, les conditions, c’est pour cela que la réunion d’informations dure 3 heures.
8. Quelles sont les différentes étapes de la ou des mission(s) (de la préparation des agents au suivi en passant par la réalisation) ?
. Le budget est voté au niveau du département pour lancer la campagne ;
. L’information est partagée via l’intranet (avec les coordonnées de tous ceux qui sont partis avant, pour pouvoir les contacter) et je reste disponible pour en discuter par mail ou téléphone ;
. 1 mois après, une réunion d’information est organisée ;
. Après réception des candidatures, des entretiens sont organisés avec les ressources humaines ;
. La liste des 10 premiers candidats est donnée, les autres sont sur liste d’attente.
. Le dernier mot revient à Planète Urgence, qui doit donner son aval : si les candidats sont retenus, ils entrent en contact avec Planète Urgence pour trouver la bonne mission. Pendant les entretiens, ils sont orientés sur les missions, car les agents ont tendance à se sous-estimer et à surévaluer le besoin localement. Même s’ils ne sont pas experts dans un domaine, ils ont beaucoup à apporter. Ils reçoivent via Planète Urgence un complément d’informations sur ce qui est attendu sur place. L’objectif est de rassurer les agents du département pour lever les freins.
9. Menez-vous des études d’impacts ?
Le suivi d’impact est fait par Planète Urgence.
Nous envoyons un petit questionnaire à l’agent avant son départ pour connaître ses compétences, ses qualités pour la mission. Idem à son retour, pour évaluer l’écart entre ce qu’ils pensaient mettre en œuvre et ce qu’ils ont fait réellement. Cela valorise leurs compétences, les renforce dans des valeurs humaines telles que la capacité d’adaptation, d’innovation et d’écoute.
10. Quels sont les retours des volontaires ?
Les agents reviennent à chaque fois épanouis mais aussi bouleversés par la confrontation à la pauvreté. Il leur est souvent difficile de partager ce qu’ils ont vécu. La famille veut bien les entendre une fois ou deux, mais cette énergie qu’ils ramènent peut déranger un peu. Il y a un sentiment de frustration, une envie de repartir qui se développent chez eux.
Nous envoyons un petit questionnaire à l’agent avant son départ pour connaître ses compétences, ses qualités pour la mission. Idem à son retour, pour évaluer l’écart entre ce qu’ils pensaient mettre en œuvre et ce qu’ils ont fait réellement. Cela valorise leurs compétences, les renforce dans des valeurs humaines telles que la capacité d’adaptation, d’innovation et d’écoute.
Il est intéressant de voir que sur les 110 départs, une vingtaine d’agents sont restés proches ou investis dans les associations de solidarité internationale.
11. Quels sont les enjeux pour le territoire ?
Les enjeux pour un territoire sont relativement limités : nous travaillons plutôt sur les échanges culturels. Par exemple, j’ai des collègues qui sont au service des migrants, de familles qui ont des origines étrangères. Moi, je suis franco-burkinabais, j’ai donc une sensibilité à l’écoute. Je comprends ce qui peut être mal perçu par des personnes africaines : je profite des Congés Solidaires® pour dire aux agents qu’ils vont vivre une immersion dans une culture différente, mais qui peut être semblable à celle de leurs bénéficiaires. Cela peut avoir un impact sur le territoire pour ces fonctionnaires.
Au niveau économique, il n’y a pas d’enjeu pour l’instant. Il y en aura peut-être avec la coopération sur la filière laitière, mais elle n’est pas assez développée pour l’instant.
Pour l’instant, l’idée est plutôt de partager cet esprit de Service International et d’aborder des questions interculturelles.
12. Comment voyez-vous ces programmes évoluer à l’avenir ? (plus de missions ? Moins de missions ? Missions plus diversifiées, avec des profils différents d’agents mobilisés ou de nouveaux bénéficiaires ?)
Je ne pense pas que ça évoluera beaucoup au vu du contexte économique des collectivités territoriales. Si nous avons plus de moyens, nous pourrons peut-être faire partir plus de personnes, mais ça n’est pas non plus certain, puisqu’il n’y a pas non plus une énorme demande de la part des agents. Les personnes qui partent sont majoritairement très jeunes et sans enfants, ou plus âgées, puisque leurs enfants sont grands et qu’ils se libèrent plus facilement.
Il est intéressant de voir que sur les 110 départs, une vingtaine d’agents sont restés proches ou investis dans les associations de solidarité internationale. L'un d'entre eux a même créé une association de Service International en lien avec un partenaire au Bénin. Certaines personnes sont reparties en famille à Madagascar. Nous commençons donc à voir les effets avec le temps.
* Nous parlons dans cette série de "pro bono" et non spécifiquement de mécénat de compétences : le mécénat de compétences est un dispositif fiscal qui, dans les faits, ne pourrait s'appliquer à des acteurs publics.
** Les entretiens ont été anonymisés, certaines initiatives étant menées de manière officieuse par les agents.
💡 La série d'entretiens "Agents publics et pro bono" a été réalisée entre décembre 2019 et mars 2020. Ses 8 entretiens explorent les pistes de mise en oeuvre de programmes pro bono ou de mécénat de compétences au sein du service public. Retrouvez les autres entretiens ci-dessous :
👉 Agents publics et pro bono : un lien fort entre service public et associations
👉 Agents publics et pro bono : témoignage de Quentin, maire
👉 Agents publics et pro bono : témoignage de Lisa, DRH
👉 Agents publics et pro bono : témoignage de Sylvie, adjointe à l'ESS
👉 Agents publics et pro bono : l'exemple d'une Fondation territoriale