L'actus

du Pro Bono

Réforme des retraites et maintien en emploi des seniors : le mécénat de compétences pourrait-il être une des solutions ?

On est venu nous poser la question, alors nous avons décidé d’y réfléchir.
Pro Bono Lab
14 mars 2023

S’il y a bien une chose qui ne passe pas inaperçue en cette rentrée 2023, c’est la réforme des retraites.

On vous propose un bref récapitulatif de ce que cette nouvelle loi prévoit :

-Le report de l'âge légal de la retraite de 62 à 64 ans en 2030 par tranche de trois mois à partir de septembre 2023,

-L’allongement de la durée de cotisation : de 42 ans aujourd’hui, la durée de cotisation passerait à 43 ans en 2027 sur un rythme d'un trimestre supplémentaire par an pour pouvoir obtenir une pension retraite à taux plein.

Réforme des retraites et impact sur l’emploi senior

Au lendemain de l’annonce de la réforme des retraites, plusieurs voix se sont élevées et inquiétées de son impact sur l’emploi des seniors. Et pour cause : en France, en 2021, le taux d’emploi des 60-64 ans atteignait 35,5% avec un taux de chômage s’élevant à pratiquement 7% (1). La part des actifs seniors dans la tranche d’âge des 55-64 ans augmente depuis les dernières réformes (notamment celle de 2010) repoussant l’âge légal de départ à la retraite. Cependant cette progression s’est accompagnée d’une augmentation du taux de chômage significative (de 4,2% en 2003 à 6,3% en 2021). De plus, les chômeurs âgés de plus de 55 ans sont davantage touchés par le chômage de longue et très longue durée : la durée moyenne d’inscription des demandeurs d’emploi des catégories ABC *est de 805 jours pour les plus de 55 ans au troisième trimestre 2020, contre 370 pour l’ensemble des demandeurs d’emploi (1).

La question du maintien en emploi des seniors est donc plus d’actualité que jamais. Le mécénat de compétences a trouvé sa place dans le débat et émerge comme une réponse potentielle cette problématique (2).

Le mécénat de compétences, un puissant outil de transition

Le mécénat de compétences est un dispositif qui permet de participer, sur la base du volontariat d’un salarié au sein de son entreprise, à un projet d’intérêt général sur son temps de travail. Le mécénat de compétences senior est souvent considéré comme une période de transition entre fin de carrière et début de retraite, voire un tremplin entre vie professionnelle et engagement associatif. Les salariés volontaires peuvent s’engager sur la totalité ou sur une partie de leur temps de travail, et sont rémunérés par leur entreprise qui peut défiscaliser ce don de compétences. Dans le cas de la fin de carrière, nous observons chez Pro Bono Lab, qu’il s’agit bien souvent d’un format de mécénat de compétences long (c’est à dire d’une durée supérieure à 6 mois à temps plein ou partiel).

Le dispositif offre a minima deux opportunités intéressantes : d’abord celle de soutenir des associations qui sont en demande de compétences ; ensuite celle d’offrir aux salariés un sentiment d’utilité et d’accomplissement à l’aube de la retraite. D’après une étude récente menée par le collectif des acteurs de l’engagement, 69% des associations interrogées estiment que les missions d’engagement (mécénat ou bénévolat de compétences) leur ont permis de mieux accompagner leurs bénéficiaires, et 62% ont pu accéder à des ressources humaines leur faisant défaut en interne (3). Un transfert de compétences est effectivement rendu possible : les salariés de l’entreprise partagent leurs savoir-faire aux acteurs associatifs et contribuent à enrichir l’organisation qu’ils rejoignent.

Du côté de l’entreprise, la pratique du mécénat de compétences s’inscrit très souvent dans une démarche RSE de l’entreprise, ou dans une démarche d’engagement des salariés. Le mécénat de compétences permet, par ailleurs, de bénéficier d’une déduction fiscale de 60% des salaires et des charges patronales des collaborateurs qui font du mécénat de compétences (4). 25% des entreprises interrogées lors du dernier baromètre Admical x Pro Bono Lab (5) déclaraient le mécénat de compétences comme un objectif prioritaire de leur feuille de route. Les entreprises multinationales qui mettent en place le mécénat senior semblent se faire moins rares : depuis 2016, la Société Générale propose à des salariés seniors qui ont 10 ans d’ancienneté et sont au maximum à 3 ans de la retraite de travailler pour une association à mi-temps tout en restant salarié jusqu’à leur retraite (6). BNP Paribas, Orange, Renault ou encore Schneider Electric ont aussi misé sur le mécénat de compétences pour aménager la fin de carrière leurs collaborateurs. Alors que le monde associatif s’inquiète aujourd'hui de l’impact du report de l’âge légal de la retraite sur l’engagement bénévole senior (7), les entreprises ont sans doute un rôle à jouer en favorisant le mécénat de compétences et en donnant à leurs salariés l’opportunité de s’engager sur le long terme et de répondre aux besoins des associations.

En quelques mots : le mécénat de compétences est souvent présenté comme un échange gagnant – gagnant entre trois parties prenantes : entreprise – salarié – association.

Enfin, bien au-delà d’un simple dispositif de transition emploi-retraite, le mécénat de compétences long terme pourrait trouver sa place tout au long de la vie professionnelle dans un contexte de rallongement des carrières, à l’heure où le rapport au travail est continuellement remis en question.

Le mécénat des compétences au service du maintien en emploi des salariés seniors : une fausse bonne idée ?

Chez Pro Bono Lab, nous sommes bien sûr convaincu.es des vertus du mécénat de compétences pour les associations, entreprises et volontaires, mais souhaitons soulever plusieurs questions et points de vigilance lorsqu’il s’agit de faire du mécénat de compétences un palliatif à des carrières professionnelles qui devraient être rallongées :

1. Premièrement, le mécénat de compétences est un dispositif encore relativement peu connu et utilisé : en 2021 seules 15% des entreprises mécènes pratiquaient le mécénat de compétences (3), un chiffre en recul par rapport au précédent baromètre où la part d’entreprises mécènes pratiquant le mécénat de compétences s’élevait à 21%. De plus, la quasi-totalité des entreprises mécènes interrogées accordent moins de 5 jours de mécénat de compétences par an à leurs collaborateurs. S’il n’existe à l’heure actuelle aucun chiffre officiel, le mécénat de compétences « long » (6 mois minimum) – dispositif que l’on trouve plus fréquemment mis en œuvre en fin de carrière – reste marginal.
Notre vision : si nous voulions en faire un mécanisme de maintien des salariés dans l’emploi, il faudrait s’en saisir à bras le corps et soutenir sa très large démocratisation, tout en validant que les associations soient accompagnées des bons intermédiaires et outils pour s’en saisir.

2. L’objectif premier du mécénat de compétences est de répondre aux besoins des associations qui y ont recours. L’usage de cette pratique pour apporter une réponse à la problématique du maintien en emploi des seniors peut sembler une bonne idée si tant est qu’il réponde d’abord au besoin d’intérêt général. Le cadre du mécénat de compétences est clair à ce propos (8).
Notre point d’attention : nous devons rester vigilants quant aux motivations des entreprises dans leur recours au mécénat de compétences senior. Le passé l’a déjà démontré : la mise "au placard” de profils seniors via le mécénat de compétences est un risque encore prégnant.

3. Il est indispensable que les collaborateurs soient volontaires et non « contraints » par leur employeur lorsqu’ils se lancent dans l’aventure du mécénat de compétences. L’entreprise doit conserver un lien fort avec ses salarié.es en mécénat de compétences tout au long du dispositif car elle en garde la responsabilité juridique (8).

4. Le don de compétences est globalement perçu comme une réelle opportunité pour les associations (9). Mais ces dernières sont-elles en capacité d’accueillir déjà, puis d’accueillir plus si tel était l’idée d’une généralisation de la pratique en fin de carrière, de mécénats de compétences seniors longs ? L’aspect chronophage du dispositif constitue déjà un des principaux obstacles pour les associations ayant recours à des salariés en mécénat de compétences : si l’accueil et l’encadrement lors de la mission prennent un temps conséquent aux associations, les phases de diagnostic, de cadrage des besoins, de sélection des volontaires et des aspects administratifs viennent se rajouter à leur quotidien déjà chargé.
Notre vision : le dispositif de mécénat de compétences temps long gagnerait à s’étendre si et seulement s’il est bien accompagné et financé.

5. Enfin la question de l’humain reste au cœur du sujet : les associations peuvent avoir des difficultés à encadrer des profils seniors, en particulier lorsque ces derniers n’ont pas connaissance du secteur associatif et qu’ils estiment n’avoir plus rien à prouver à personne, ou bien que les compétences ou le savoir-être du salarié ne correspondent pas aux attendus de l’association. Pour beaucoup d’associations, le mécénat de compétences devrait être encadré et piloté par des personnes dédiées à sa gestion.


Le mécénat des compétences est une pratique particulièrement intéressante mais encore balbutiante. Elle incarne cependant, à sa petite échelle, les mutations du monde du travail auxquelles sont confrontées les entreprises.

Malgré tout l’intérêt et le potentiel que nous lui accordons, toute volonté de démocratisation, notamment dans un contexte de transition emploi-retraite, se devrait d'être accompagnée par des garde-fous afin d'éviter les écueils que nous avons commencés à mentionner ci-dessus. De plus, la généralisation d’un tel dispositif aurait un coût non négligeable pour les pouvoirs publics (60% d’un salaire à taux plein potentiellement défiscalisable, moyens financiers déployés pour inciter les parties prenantes à sa mise œuvre...). On ne peut donc que questionner la pertinence et les bénéfices d’un tel investissement pour répondre aux effets rebonds de la réforme des retraites sur l’emploi des seniors. Enfin, la contrepartie du mécénat de compétences senior serait-elle suffisante et représenterait-elle une réelle plus-value pour les associations qui pourraient faire face à un tarissement de la main d’œuvre bénévole senior à la suite du report de l’âge légal de la retraite ? Nous en doutons aujourd’hui fortement.

Sources

(1) Activité des seniors et politiques d’emploi, 2022, DARES : Dares_tableau-de-bord-seniors_T42021.pdf (travail-emploi.gouv.fr)

(2) Réforme des retraites : redonnons son sens au travail ! La Tribune, Janvier 2023

(3) Collectif des acteurs de l’engagement, 2022, L’engagement citoyen en France, où en est-on ?

(4) Mécénat ou réduction d’impôts pour les dons en faveur des œuvres et organismes visés par l’article 238 bis du CGI - Détermination de la réduction d’impôt

(5) Baromètre du Mécénat d’entreprise, 2022, Admical x Pro Bono Lab

(6) Le mi-temps senior : un dispositif de mécénat de compétences, Carenews

(7) Retraites et bénévolat : une vraie réflexion est à mener, Le mouvement associatif

(8) Les repères ADMICAL, Le mécénat de compétences

(9) Panorama du pro bono, édition 2019

Lexique

*Demandeurs d’emploi de catégories A,B,C : Les demandeurs d’emploi sont inscrits à Pôle Emploi selon cinq catégories A,B,C,D, E. Retrouvez le détail de cette classification : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F13240

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