L'actus
du Pro Bono
Quels liens entre engagement bénévole et insertion professionnelle des jeunes ?
A l’occasion de la restitution de notre enquête terrain réalisée dans le cadre du programme d’engagement Pro Bono Explorers, nous avons accueilli Thibaut de Saint Pol,directeur de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative, Charlotte Debray de la Fonda, Fouzia Bendelhoum de la Mission locale de Paris, Carmen Vitour-Le-Roux d’Article 1, pour des échanges passionnants sur l’engagement des jeunes.
Manon Philippe
24 oct. 2024
Les jeunes sont de plus en plus encouragés à s’engager pour faciliter leur entrée dans le monde du travail. Ils sont même 67% d’après la dernière étude Recherches & Solidarités à citer la valorisation de l’engagement dans le cadre de leurs études ou de leur emploi comme une motivation à l’engagement bénévole.
“Depuis l’état, nous sommes convaincus que l’engagement est un ciment essentiel au niveau de l’inclusion et de l’égalité de chances. L’objectif est d’amener les plus éloignés à s’engager et à développer des compétences.” plaide Thibaut de Saint Pol, directeur de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative.
Déjà en 2013, le Conseil de l’Union Européenne préconisait l’utilisation de l’activité bénévole comme dispositif d’insertion professionnelle auprès des jeunes éloignés des systèmes éducatifs et de l’emploi.
Avoir recours à l’activité bénévole comme dispositif d’insertion professionnelle des jeunes ne fait pourtant pas consensus.
Faut-il faire de l’engagement un levier d’insertion professionnelle chez les jeunes ? L’engagement peut-il leur permettre de développer leurs compétences et ainsi faciliter leur insertion professionnelle ? C’est à ces questions que nous avons tenté de répondre !
Déconstruire les idées reçues sur les jeunes
Les jeunes n’y croient plus, ils sont désengagés, leur engagement est volatile… ». La jeunesse fait toujours parler d’elle et rarement en bien regrette la journaliste Salomé Saqué dans son enquête terrain sur la jeunesse. Nos intervenants ont proposé de déconstruire certains des clichés à l’encontre des jeunes.
L’engagement bénévole est particulièrement important chez les plus jeunes, notamment les 18-30 ans. 26% des jeunes de cette tranche d’âge s’engagent régulièrement, c’est-à-dire une fois par mois pour une association d’après le dernier baromètre de la DJPEVA.
« Tout semble contrer l’idée reçue selon laquelle les jeunes sont désengagés. L’implication des jeunes en association est croissante, ils sont aussi donateurs, ils boycottent certains produits, militent sur les réseaux sociaux, signent des pétitions, s’engagent en service civique. » énumère Charlotte Debray, directrice générale de la Fonda.
Le développement de la plateforme publique Je Veux Aider et la crise sanitaire ont bien montré cet élan de solidarité de la part des jeunes. Thibaut de Saint-Pol met d’ailleurs l’accent sur le fait que, la moitié des personnes engagées à la réserve civique ont moins de 30 ans.
Fouzia Bendelhoum, cheffe de projets départemental de la mission locale de Paris constate un véritable tournant après la crise sanitaire de 2020 : « Nous avons été interpellés par un public de décrocheurs universitaires. Après cette période, une multitude d’étudiants ont poussé la porte de la Mission locale de Paris pour réfléchir à ce qu’ils voulaient faire, et à comment ils pouvaient être utiles ».
Carmen, chef de projet engagement, observe une belle dynamique d’engagement chez les jeunes dans le programme d’engagement « Different Leaders » d’Article 1 où ils endossent le rôle de mentors, puis d’ambassadeurs. Elle remarque cependant que les jeunes s’engagent différemment, de façon plus ponctuelle, même si certains d’entre eux y trouvent une forme de durabilité. Cela suppose que les associations s’adaptent à de nouvelles modalités d’engagement avec d’autres façons d’animer, des formats plus courts, ou encore des journées d’engagement avec des actions très concrètes.
Toutefois, loin de constituer un tout homogène, la jeunesse d’aujourd’hui est plurielle, généraliser sa façon de s’engager sans distinctions n’est donc pas pertinent.
L’engagement comme levier d’insertion professionnelle, une fausse bonne idée ?
Considérer l’engagement bénévole comme un levier d’insertion professionnelle est-il pertinent ? Quels sont les dérives potentielles ?
-Le risque d’institutionnaliser l’engagement, de le rendre en quelque sorte obligatoire, pour en faire un outil au service des politiques de l’emploi est bien réel. Cela souligne des enjeux éthiques forts.
La Fonda est très attachée à la liberté de s’engager ou de ne pas s’engager. L’engagement bénévole est un véritable révélateur de compétences, un terrain d’apprentissage. Mais si l’association prône une culture de l’engagement qui pourrait s’acquérir dès l’école, elle insiste sur le fait que l’on ne peut pas instrumentaliser l’élément de générosité des gens. Il faut que l’acquisition de compétences, l’insertion professionnelle, restent des effets positifs mais pas le but premier de l’engagement met en garde Charlotte.
Fouzia, chargée du pilotage du contrat engagement jeune (CEJ) à la mission locale de Paris insiste sur l’importance de bien définir la notion d’obligation. Le contrat engagement jeunes permet aux jeunes de bénéficier d’un accompagnement et d’une allocation, ces derniers doivent notamment justifier de 15 à 20h par semaine d’activités.
« L’engagement bénévole s’est imposé à nous car c’était une façon pour certains jeunes de justifier de leurs heures. Nous avons été obligés de tout remettre à plat, en leur disant que l’on savait que leurs urgences étaient de trouver un emploi, des ressources financières. »
Si la mission locale rend « obligatoires » certains ateliers dans le cadre du contrat engagement jeune, c’est bien dans l’idée d’ouvrir le champ des possibles des jeunes, d’expérimenter avec eux et de leur faire prendre conscience de certaines possibilités qui s’offrent à eux. Certains jeunes de la mission locale de Paris ont par exemple récemment travaillé avec une association œuvrant contre le harcèlement scolaire en sensibilisant en classe des élèves de primaire.
Même son de cloche dans les programmes d’engagement d’Article 1 qui ont ce même “contrat d’engagement”. « Lorsque les jeunes commencent le programme, ils sont aussi bénéficiaires de formations, et doivent en contrepartie être en mesure de suivre trois engagements au minimum dans l’année ». Cependant, ce n’est pas « l’obligation » qui engendre l’action des jeunes et le mécanisme d’engagement. « Cela ne pourrait pas fonctionner si les jeunes devaient venir de manière obligatoire systématiquement. Il faut savoir parler aux jeunes, leur montrer en quoi cela peut être utile, en termes de développement de compétences, de prise de confiance en soi, voire de réseau même si cela ne fonctionne pas toujours » insiste Carmen d'Article 1.
Enfin, si l’engagement semble corrélé à des situations sociales plutôt favorisées - en 2024, 33% des Français les plus diplômés sont engagés dans le bénévolat contre moins de 15% parmi ceux ayant des formations plus modestes. (La France Bénévole 2024) – les intervenants sont convaincus que l’engagement est un levier d’insertion professionnel pertinent pour les publics les plus éloignés de l’emploi.
« Il faut lutter contre des déterminants sociaux très encrés. Il y a d’autres facteurs qui vont susciter l’engagement comme la cooptation via les pairs, à mon avis c’est ça qu’il faut creuser plutôt que de rendre l’engagement obligatoire. » Charlotte Debray, Déléguée Générale à la Fonda.
La mission locale de Paris souligne que tous les jeunes s’engagent, quel que soit leur milieu social, et qu’il est essentiel d’avoir un espace où toutes les jeunesses se croisent dans une dynamique de faire ensemble, et de collectif. « Ce qui motive l’engagement chez les anciens mentorés de milieux plus précaires, c’est aussi l’engagement de nécessité. Ils ne veulent pas que leurs petits frères ou sœurs vivent les mêmes difficultés qu’eux » note Carmen.
Quelles conditions réunir pour faire de l’engagement un levier d’insertion professionnelle ?
Le rôle des professionnels accompagnant les jeunes est central. Il faut que ces derniers soient convaincus de la plus-value de l’engagement bénévole et qu’ils soient formés. Ce sont eux qui construisent des espaces de confiance, et d’ouverture de champs des possibles pour les jeunes. « Il ne faut pas juste attendre que cela vienne du public. Il faut savoir susciter, accompagner. Plus les professionnels sont aguerris au dispositif, mieux les jeunes sont préparés et auront tendance à aller plus naturellement vers ces différentes formes d’engagement. » remarque Fouzia.
Les liens humains développés entre les jeunes et professionnels sont essentiels, d’autant plus, qu’il y a beaucoup d’auto-censure de la part du public jeune. Ces jeunes sont bien souvent dans une phase de construction de leur parcours socio-professionnel, il faut donc les accompagner et leur démontrer leur plus-value. L’engagement bénévole est une brique pertinente dans ces parcours d’accompagnement car elle participe activement à les rendre autonomes, leur faire prendre confiance en eux et à acquérir des compétences.
Charlotte, Déléguée Générale de la Fonda, rappelle l’enjeu de la posture et l’écoute dont doit faire preuve les associations qui vont accompagner et accueillir la jeunesse. Celles-ci doivent être en mesure d’écouter les moteurs de l’engagement, notamment la volonté des jeunes de se sentir utile. Ce sentiment d’utilité implique de pouvoir constater rapidement les effets de leur engagement afin qu’il s’inscrive dans la durée. La deuxième motivation de la jeunesse, c’est celle de se connecter à d’autres.
« L’engagement c’est un peu pour soi, beaucoup pour les autres et avec les autres, et ensuite pour développer ou révéler des compétences sociales, techniques et professionnelles ».
Le collectif est en effet un puissant moteur d’engagement et de réussite, les jeunes s’organisent, créent des groupes de discussions et de solidarité entre eux. Le programme d’engagement Different Leaders porté par Article 1 a généré une véritable communauté de jeunes, qui se soutiennent, trouvent de l’aide auprès de leurs pairs en s’envoyant par exemple des offres d’alternances ou de travail. Il peut alors y avoir un effet « insertion professionnelle ».
Enfin, pour faire de l’engagement un levier d’insertion professionnelle, encore faut-il lever de nombreux freins périphériques. Le programme Maison d’Article 1 propose de lever certains de ces freins, notamment celui du logement et de l’isolement social. Les jeunes ont accès à un logement avec un loyer à prix réduit et montent des projets d’engagement sur leurs territoires.
Charlotte, déléguée générale de la Fonda le rappelle, lever les freins à l’engagement, c’est avant tout agir à la racine. L’accompagnement des jeunes, et le faire ensemble demandent une ingénierie très précise, avec des postures, des métiers complètement différents. Il est donc essentiel de rappeler à toutes les structures qu’elles s’inscrivent dans un système d’acteurs, et qu’elles doivent être dans une logique de coopération et de complémentarité les unes avec les autres.
Valoriser les expériences bénévoles et faire le lien avec le marché du travail
Fournir aux jeunes des espaces de réflexion, et des éléments attestant des compétences qu’ils ont développées est essentiel pour valoriser et reconnaître l’engagement. Au-delà de la valorisation des compétences, tout l’enjeu réside dans la révélation des talents pour ces publics parfois en mal de confiance en eux, insiste Charlotte de la Fonda.
Il faut amener la question de l’engagement de façon pertinente. Chez Article 1, la plupart des ateliers mêlent softs skills et engagement. La valorisation des softs skills est mis en œuvre via Job Ready (Article 1), un programme d’accompagnement à la reconnaissance et à la valorisation des compétences. Job Ready permet ainsi aux jeunes de recenser leurs expériences associatives et professionnelles et de les mettre en perspective avec les compétences développées.
« Dans nos programmes, on demande aux jeunes quelles soft skills ils souhaitent développer, puis on les guide consciemment sur des engagements correspondants à leur projet professionnel. » illustre Carmen. Une personne dédiée avec un rôle de « coach » accompagne les jeunes et leur offre un suivi personnalisé pour les guider dans leur engagement. Permettre aux jeunes de se former en parallèle de leur engagement est une véritable plus-value. L’engagement peut alors être ponctué de temps de formation, d’échanges de bonnes pratiques pour formaliser le développement de compétences.
Par ailleurs, Article 1 valorise les réussites des jeunes, avec l’organisation de temps informels et de célébration. Les jeunes engagés se voient délivrés des « open badges » à la fin d’une action d’engagement, qu’ils peuvent afficher sur leur CV ou encore sur linkedin, des attestations qui recensent les formations et ateliers suivis leur sont fournies.
De son côté, la mission locale de Paris souhaite explorer différentes formes d’accompagnement pour mettre en lumière les différentes compétences des jeunes.
« Il faut faire en sorte que la rubrique engagement, et soft skills prennent beaucoup plus de place dans le CV et au moment de l’entretien d’embauche. »
Ce qui est certain, c’est qu’orienter les jeunes talents vers les métiers du social ou encore de l’économie sociale et solidaire fait particulièrement sens : l’ESS représente désormais 10% du PIB, 14% des emplois du secteur privé, soit 2,4 millions d’emplois en France, et c’est une véritable pénurie de professionnels à laquelle doivent aujourd’hui faire face les « métiers de l’humain ».
Pour aller plus loin, consulter :
Notre rapport d’expérimentation sur le programme Pro Bono Explorers
Synthèse 2023 : les jeunes et l’engagement