L'actus
du Pro Bono
Fail Probono : partageons nos plus beaux échecs, nos meilleures mauvaises pratiques !
Cap sur les ratés et les manqués du pro bono. Qu’il s’agisse de faux pas stratégiques, opérationnels, relationnels ou de communication, ils sont vecteurs de riches enseignements.
Manon Philippe
1 sept. 2020
Avec ce sixième webinaire, cap sur les ratés et les manqués du pro bono. Qu’il s’agisse de faux pas stratégiques, opérationnels, relationnels ou de communication, ils sont vecteurs de riches enseignements.
L’objectif était de partager, sans langue de bois, les erreurs, difficultés et moments de solitude qu’on a pu affronter en lançant une initiative pro bono. Loin de décourager, ils sont autant de leçons à tirer sur ce qu’on peut faire pour continuer à (mieux) s’engager et vous montrer qu’oser se lancer participe au fait qu’on puisse mieux s’engager.
En plus de son rôle chez SAP France, Antoine Clément est depuis six ans mentor pro bono, rôle qu’il exerce auprès des porteur.euses de projets chez Makesense, de l’association les Déterminés et La Ruche. Il n’avait pas d’attente avant de se lancer dans une démarche pro bono, sa “pire expérience” ayant été la première au cours de laquelle il a réalisé que faire à la place des bénéficiaires, ce n’est pas les aider. Il vaut mieux les accompagner à faire par eux-mêmes. Autrement, le temps passant, l’association devient de plus en plus dépendante de cette aide gratuite et réactive. Pour lui, afin d’être le plus pertinent.e et le plus utile possible, le rôle d’un.e mentor pro bono est d’accompagner une structure dans la durée afin d’être en adéquation avec l’évolution des besoins des bénéficiaires. Il.elle suit donc leurs activités, a des points réguliers avec les entrepreneur.euses. Il.elle fait preuve d’écoute empathique, leur demande quels sont leurs problèmes, leurs moyens pour y répondre, quelles autres priorités il.elles ont en tête afin de comprendre leur contexte, de prendre du recul afin d’apporter des idées/ éclairages/ exemples. A la lumière de toutes ces données, les deux parties essaient de réfléchir et faire ensemble.
Créée en 2012, Clown’Up est une association qui s’engage à rompre l’isolement des personnes en situation de dépendance ou de handicap en recréant un lien social avec elles grâce au personnage du clown. Leur équipe est 100% bénévole et est composée de six clowns et d’une musicienne qui interviennent en maisons de retraite et hébergements spécialisés. Véronique Jean a confié ne jamais avoir connu de déconvenues en matière de pro bono et ce, depuis 2016, année à partir de laquelle l’association bénéficie de journées pro bono via nos fameux formats Marathons ! Selon elle, ces différents Marathons ont été utiles pour plusieurs raisons. Tout d’abord, parce que la notion d’échec est toute relative. Si le livrable final diffère des attentes initiales, cela aura tout de même apporté quelque chose, autre chose, et pour cela, la notion de posture est cruciale car il ne s’agit pas d’échec mais d’un résultat différent qui laisse place à de beaux imprévus comme celui de trouver le slogan de l’association ou celui de penser sa stratégie numérique. Chaque accompagnement pro bono a fait grandir le projet grâce à la rencontre de professionnels experts qui apportent un regard neuf sur ce que l’association pourrait mettre en place. L’équipe intègre pleinement chaque accompagnement pro bono dans sa stratégie de développement en sachant déléguer et prioriser les chantiers car l’association ne peut pas tout faire.
Marine a évoqué certaines idées fausses au sujet du pro bono pour ses trois parties prenantes. Faire un travail de pédagogie et de gestion des attentes auprès des associations sur le type de recommandations formulées par les volontaires qu’il sera possible de mettre en place et qui mettent du temps à être mises en œuvre. Côté entreprises, on note un réel engouement pour l’engagement et le mécénat de compétences. Le pro bono change d’échelle et chez Pro Bono Lab, nous sommes de plus en plus sollicitées pour mettre en place des programmes de grande ampleur dès la première année. Dans la réalité, c’est parfois plus compliqué que prévu car la mise en place du pro bono dépend beaucoup de la culture interne en entreprise. Dans le même secteur d’activité, d’une entreprise à une autre, on n’aborde de la même manière ni le mécénat de compétences ni la communication interne. Il est très important de se poser les bonnes questions et d’y aller étape par étape pour maximiser l’impact de ses actions et faire perdurer cette politique d'engagement dans le temps. Pour les volontaires, si les recommandations émises s’adaptent très bien en entreprise, elles nécessitent d’être retravaillées et “traduites” pour s’adapter au monde associatif. C’est là où entre pleinement en jeu l’animateur.rice et l’intermédiaire dans la préparation des volontaires en amont d’une mission et la sensibilisation aux enjeux du monde associatif.
Pour une expérience d’engagement réussie c’est-à dire que la démarche soit utile à la structure qui en bénéficie, bien fixer le cadre est fondamental à tous les niveaux a rappelé Antoine, à la fois avec les mentors (posture à adopter, calendrier, etc.) et avec la structure bénéficiaire (type de pro bono auquel elle va participer, enjeux, type de résultats attendus, le type de compétences disponibles, ce qu’il est possible de demander aux volontaires à titre professionnel et personnel au-delà du cadre de cet accompagnement). Il est tout aussi important de sensibiliser les bénéficiaires parce qu’eux aussi ont un travail de posture à faire. Avec les mentors SAP, le cadre est fixé selon trois valeurs piliers : il faut que l’expérience soit utile (tant le.a porteur de projet que le bénévole doit en retirer quelque chose afin qu’ielle se réengage), faite dans la bienveillance (ne pas imposer ses idées) et dans la confidentialité (pour que la structure accompagnée se sente en confiance pour partager librement enjeux et doutes).
Le recrutement est une phase délicate dans une mission pro bono parce qu’il nécessite la prise en compte d’une multitude de paramètres tels que celui d’avoir un calendrier réaliste, des messages clés qui vont parler aux collaborateur.rices, de bons outils, etc. Bref, la force d’une communication interne efficace qui, par définition, varie d’une entreprise à l'autre. Un des enseignements à tirer pour le recrutement / communication interne est de varier les supports de communication : mailing, affichage, temps en présentiel sous oublier le bouche-à-oreille s’appuyant sur les collaborateur.rices ayant déjà participé à des missions pro bono et d’en faire des ambassadeurs.rices au sein de l’entreprise.
En lien avec le fameux bouche-à-oreille dont parlait Marine, “le portrait-robot du volontaire idéal est celui qu’on trouve à la machine à café” ! C’est en grande partie grâce à lui que SAP France compte aujourd’hui 130 collaborateur.rices engagé.es. Il faut réussir à chercher une par une ces personnes ouvertes aux opportunités et à l’inconnu et dont les premières expériences de pro bono se font en général avec un.e collègue. Loin d’avoir spécialement une compétence spécifique/particulière, le.a volontaire idéal.e se retrouve dans la mission de l’association et a envie d’y contribuer. Empathie, curiosité, ouverture d’esprit et envie d’aider sont quelques uns des soft skills qui entrent en jeu pour essayer d’aider la structure accompagnée à avancer sur ses défis. Les conseils que donnerait Véronique à une association qui reçoit / s’apprête à recevoir un accompagnement pro bono sont finalement assez similaires : “prendre, écouter et comprendre”. Si certaines remarques des volontaires peuvent être déstabilisantes, se demander pourquoi et pousser la conversation plus loin, toujours dans une posture bienveillante et d’écoute active. A Clown’Up, la posture est celle du “oui, et ?”, non celle du “oui, mais”.
Cela fait directement écho au “plus beau râté” en animation partagé par Marine. Lors d’un Marathon Probono, la représentante associative était pessimiste parce qu’elle avait d’autres difficultés à gérer en interne. Malgré les idées des volontaires, la représentante associative relevait systématiquement les freins rencontrés si ces idées étaient mises en place. Les échanges d’une telle journée peuvent faire mal car les volontaires mettent le doigt sur les points à améliorer. L’animation a donc été particulièrement difficile et la journée a dû être assez décourageante pour les collaborateur.rices volontaires. Grâce à l’évaluation moyen-terme effectuée quelques mois après la mission, l’association nous a fait part qu’elle avait mise en place certaines recommandations émises lors de cette mission, information que Marine a partagé avec les volontaires pour leur montrer l’impact qu’il.elles avaient eu !
Avoir en tête la notion de temporalité de l’impact est clé car celui-ci prend du temps, notamment pour que la structure accompagnée puisse prioriser les recommandations avec l'ensemble de son équipe. Et ce d’autant que tout n’est pas visible à l’œil nu du volontaire. Si la mise en place d’un site Internet d’une association après une mission pro bono l’est, comment l’association gère stratégiquement en interne la suite de la mission ne l’est pas. Véronique nous rappelait ainsi que c’est grâce aux volontaires de la première mission pro bono dont a bénéficié Clown’Up que la conclusion de se spécialiser dans le milieu de soin a été tirée !
Antoine ne doute pas de l’enrichissement permis par l’engagement pour l’entreprise. SAP France a mené l’an dernier une mesure d’impact sur une centaine de leurs collaborateu.rices qui s’engagent. Les chiffres les ont beaucoup étonnés. 85% des personnes interrogées ont déclaré être plus heureux.ses au travail. Un atelier par mois suffirait donc à les motiver, à se retrouver dans les valeurs de l’entreprise et à les booster dans leur travail. Pour 60% des salarié.es qui participent au mécénat de compétences, cela leur a donné envie de s’engager aussi à titre personnel. Pour Antoine, il est très important d’utiliser le mécénat de compétences pour proposer un format d’engagement très simple pour des personnes qui ne s’engagent pas dans leur vie personnelle, qui découvrent le monde associatif et à quel point il est facile d’aider. Apporter cette occasion d’engagement, “déclic d’engagement", sur le lieu de travail par un format très simple est un projet de société très important car il déclenche l’engagement chez des citoyen.nes. Véronique estime que deux à trois volontaires continuent de suivre Clown’Up sous différentes formes après leur participation à un Marathon (présentation du projet dans l’entreprise, conseil en flux, etc.).
En tant que volontaire, Antoine s’est déjà retrouvé dans des situations où ses réflexes du monde professionnel n’étaient pas applicables au monde associatif. L’accès aux outils numériques force par exemple à se poser la question des moyens des associations : conseiller à des associations des outils gratuits amène à s'adapter, à se former à de nouveaux outils et à pouvoir mieux conseiller les entrepreneur.euses.
Pour être une association accompagnée par Pro Bono Lab, Marine a rappelé trois des critères d’éligibilité choisis afin de garantir l’impact de la mission : avoir un retour d’expérience sur les activités menées par l’association, une situation financière sans oublier la disponibilité d’au moins deux personnes au sein de la structure tout au long de l’accompagnement. L’effort de préparation de l’association en amont va de pair avec l’accompagnement pro bono le jour J afin de pouvoir en tirer un maximum de bénéfices.
Marine a partagé ses principaux apprentissages en matière d’évaluation d’une mission pro bono. Comme le recrutement, c’est une étape délicate à ne pas sous-estimer dans sa mise en oeuvre : celle du calendrier, de l’outil et du choix des données, à la fois qualitatives et quantitatives, qu’on souhaite récolter. Il est nécessaire d’avoir des données à différents moments : à chaud après la mission, à court et moyen termes. A Pro Bono Lab, cette dernière est effectué environ 4 mois après la mission, une temporalité qui parait très longue pour les collaborateur.rices et très courte pour l’association dans la mise en place des recommandations.
Chaque année était organisée une mission pro bono avec des chargé.es de clientèle d’une entreprise d’assurance. Les difficultés pour recruter des volontaires étaient récurrentes. Convaincues que ces collaborateur.rices avaient beaucoup de compétences à partager avec les associations, l'équipe de Pro Bono Lab, Marine en tête, se posait la question si nos formats tels qu’ils avaient été pensés étaient pertinents. Grâce à notre expérience et à nos évaluations, nous avons décidé d’envisager les choses autrement en lançant une expérimentation où étaient mises en avant les compétences développées en tant que parent avec notre programme Probono Explorers Parentalité. Il n’y a pas que les compétences professionnelles qui comptent dans l’engagement pro bono, les compétences personnelles et les fameux “soft skills” le sont tout autant. Cette fois-ci, il y avait plus d’inscrit.es que de places disponibles ! A Pro Bono Lab, cette expérience nous a beaucoup appris dans la démocratisation du pro bono et de la démystification de la compétence.
Comment envisagent-ielles le pro bono après la crise ? Véronique voit les formats à distance se généraliser même si se retrouver en présentiel restera indispensable. Pour Antoine, le pro bono est prêt à changer d’échelle et à être porté par la direction RH ou même “business” qui saisissent pleinement l’intérêt à mener ce genre de démarche. “Il faut se préparer de plus en plus à outiller les gens en interne à dérouler leur propre programme de mécénat de compétences”. L'enjeu ? De passer de quelques collaborateur.rices ambassadeur.rices à un mécénat généralisé dans l’entreprise. Cet optimisme est partagé par Marine qui espère que l'engouement né pendant le confinement ne va pas redescendre, que l’on ne va pas se faire rattraper par notre quotidien car les associations auront plus que jamais besoin de compétences. Les entreprises auront un grand rôle à jouer.
La question de l’une des participantes au webinaire résume très bien l’une des leçons à tirer de ce webinaire. “Finalement, ne peut-on pas considérer qu’il n’y a pas de “fail” pro bono mais simplement des postures de remise en question, pour tous, à accepter ?”.
Dounia El Aflahi, chargée de prospective et de projets à Pro Bono Lab